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l’accord de l’idéal et du réel. » Ce jeune homme au clair regard observe, juge ; l’enthousiasme chez lui ne va jamais jusqu’à l’esclavage. Cette même année 1827, il écrit à son ami, en parlant des doctrines allemandes ; « Je vis au milieu d’elles, je les aime, mais non pas jusqu’à m’en faire l’esclave, ainsi que je le vois dans les moindres grimoires qui m’arrivent ici de France. » Et il remarque que, dans un milieu germanique la langue française s’altère, que l’allemand est « hostile aux idiomes de race latine. » Sa désillusion lui viendra en partie de sa connaissance parfaite de la langue, des idées, des mœurs, mieux encore, du sentiment intime de la race.


III

Ce fut en 1831, à son troisième voyage.

A deux reprises déjà, Quinet avait séjourné en Allemagne, à Heidelberg et à Grünstadt, où habitait sa fiancée : deux ans d’abord, en 1827 et 1828, puis quelques mois, à son retour de Grèce, d’avril à août 1830. Il revient à Paris après la Révolu- tion ; il retourne à Heidelberg et à Grünstadt, en septembre 1831. Dans quel état d’esprit ? Les événemens de France ont un tel retentissement dans son âme, ils se mêlent si étroitement aux impressions d’Allemagne, que l’on peut dire avec vérité que de ce contact a jailli la lumière.

Il souffre. Il souffre, comme tant de généreux esprits, d’une tristesse profonde. La Révolution de 1830 avait fait naître de si belles espérances ! La déception était si amère ! On avait cru au triomphe de la liberté, de la justice, à la révision des traités de 1815, à la cessation du long effacement de la France, à la renaissance du rôle moral glorieux qu’elle avait joué à travers le monde. Quelle réalité répondait à cette noble attente ? Un gouvernement dénué de tout idéal, se méfiant de la nation, timide à l’extérieur jusqu’à la faiblesse : l’émeute lui cachait le monde. Rien ne peut décrire l’angoisse, l’abattement des âmes à la nouvelle des événemens de Pologne, au spectacle de l’inaction de la France. Quinet étouffe à Paris : il veut partir, il part : « Sans vous, Paris me dégoûterait, » écrit-il à Michelet. « Je suis si dégoûté de ces journaux que j’ai besoin d’aller respirer quelque temps un autre air. « Quel cri de douleur il poussera, en apprenant à Grünstadt, en septembre 1831, l’agonie de