Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Autriche, qui souvent crut habile de soutenir l’élément slave et de favoriser ses revendications, ne voit point maintenant sans inquiétude ces progrès redoutables. Mais le fait est là. Sur le littoral oriental de l’Adriatique, la population est slave en grande majorité ; elle y domine presque sans rivale ; et ce fait, dans la lutte pour l’Adriatique, est gros de conséquences importantes.

Tout l’arrière-pays du littoral dalmate, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, est peuplé des mêmes élémens ethniques qui dominent sur la côte ; et des Serbes également habitent ce Monténégro qui, par Antivari et Dulcigno, péniblement s’est frayé un chemin jusqu’à l’Adriatique. Or, pour toutes ces populations slaves, de même que pour les royaumes slaves d’autrefois, c’est une nécessité de leur vie économique de s’ouvrir un débouché sur la mer. Entre ses frontières continentales, la Serbie étouffait, perpétuellement menacée par la tyrannie de sa puissante voisine. La Bosnie, naturellement orientée vers l’Adriatique, n’avait avec le littoral dalmate que des communications insuffisantes, la ligne de chemin de fer, partiellement à voie étroite, qui descend de Serajevo à Raguse. Il était inévitable que ces pays slaves cherchassent une issue vers cette mer dont leur race peuplait les rivages.

A ces ambitions, d’abord purement économiques, l’Autriche s’est opposée de toutes ses forces. Elle a refusé à la diète de Zara l’union de la Dalmatie et de la Croatie ; elle a orienté, par le système de ses chemins de fer, la Bosnie vers la Hongrie ; elle a fait obstacle, du mieux qu’elle a pu, à la construction d’une ligne allant du Danube à l’Adriatique ; elle a obligé la Serbie en 1913 à évacuer Durazzo, et, pour anéantir ses espérances adriatiques, elle a obtenu de la Conférence de Londres la création du royaume d’Albanie. Sans doute, les traités de 1913 avaient promis au royaume serbe une étroite fenêtre ouverte sur la mer, un port de commerce au bout d’un étroit couloir. Les événemens n’ont point laissé à ces médiocres espérances le temps même de se réaliser.

Aussi, maintenant, les ambitions slaves sur l’Adriatique sont-elles devenues plus hautes, et non plus seulement économiques, mais politiques. On rêve d’un grand empire slave, qui réunirait tous les rameaux divers de la race yougo-slave, Slovènes de Carniole, Serbo-Croates de Croatie et de Dalmatie,