Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux rivages d’Istrie et de Dalmatie, l’italien, il y a quelques années encore, était la langue usuelle et presque la langue du commandement.

Ce n’est là pourtant qu’une apparence trompeuse. Un autre élément ethnique, et autrement puissant, occupe en maître la côte orientale de l’Adriatique.

Vers le mois d’avril 1915, les journaux russes, avec un sens peut-être discutable de l’opportunité, mais avec une très exacte connaissance des faits, crurent bon de faire remarquer que les Slaves du Sud, Croates et Serbes, avaient, à la possession du littoral oriental de l’Adriatique, des droits incontestables ; et entre la presse de Rome et celle de Petrograd s’engagea à ce propos une polémique qui fut parfois sans aménité. On ne saurait nier pourtant que, pour une forte part, la thèse slave ne fût assez justifiée.

Bien des fois, au cours de l’histoire, les Etats slaves qui se constituèrent dans le Nord-Ouest de la péninsule balkanique étendirent avec succès jusqu’aux rivages de l’Adriatique leurs ambitions conquérantes. Les rois de Croatie du XIe siècle régnaient à Zara et à Spalato et ajoutaient à leur titre celui de rois de Dalmatie. La Grande-Serbie du XIVe siècle s’étendait du Danube à l’Adriatique et le tsar Etienne Douchan s’intitulait : « roi de Serbie, de Dioclée, de Zachlumie, de Zêta, d’Albanie et de la région maritime. » Un peu plus tard, Tvartko, ban de Bosnie, se proclamait semblablement « roi de Serbie, de Bosnie et du littoral » et conquérait la Bosnie et la Dalmatie. C’est qu’alors comme aujourd’hui, pour toutes les régions qui forment l’arrière-pays du rivage adriatique, une impérieuse nécessité existait de s’ouvrir un débouché vers la mer. Cernés dans leurs rudes montagnes par des voisins puissans, le Hongrois, le Bulgare, le Byzantin ou le Turc, ils devaient, s’ils voulaient vivre, conquérir la libre sortie sur l’Adriatique, qui seule pouvait assurer leur indépendance politique et économique. Et sans doute ces dominations slaves, plus éphémères que celles de Venise, ne laissèrent point dans la région du littoral des traces bien profondes. Mais, à côté de ces souvenirs lointains, les Slaves peuvent invoquer des argumens plus décisifs ; le principe des nationalités confirme et justifie les ambitions qu’ils pourraient fonder sur l’histoire.

Depuis que, il y a un peu plus d’un demi-siècle, le grand