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des écoles, des entreprises industrielles, se créant dans l’Albanie centrale et méridionale, grâce au concours d’Essad pacha, une clientèle capable de tenir en échec l’avance austro-hongroise. C’est pour cela enfin qu’en décembre 1914 l’Italie occupait Valona, avec une vaste zone tout à l’entour, et s’y installait d’une façon qui semblait bien devoir être définitive. Et déjà les journaux italiens déclaraient nettement : « Nous sommes à Valona et nous y resterons. »

Aux yeux de l’Italie entière, l’Autriche en Adriatique n’est qu’une usurpatrice, qui en doit être expulsée. Avant même que la guerre ne fût déclarée, un journal de Milan écrivait en février 1915 : « Nous voulons la fin de l’Autriche maritime. La mer aujourd’hui autrichienne est une mer italienne. Le débouché adriatique de la Hongrie est une usurpation. L’Adriatique est italienne et slave. Il n’y a pas de place pour des tiers gênans[1]. » L’officieux Giornale d’Italia était plus net encore : « L’objet principal de l’Italie en Adriatique est de résoudre une bonne fois toutes les questions politico-stratégiques d’une mer qui se commande militairement de la côte orientale ; et un tel problème ne se résout que d’une seule manière : en éliminant toute autre marine de guerre. » Et le même journal ajoutait : « En Adriatique, l’Autriche disparue, il ne peut y avoir ni un port, ni un sous-marin, ni une torpille, qui ne soit à l’Italie. »


III

Ainsi, à la possession de fait de l’Autriche, simple usurpation, l’Italie oppose les droits qu’elle tient de l’histoire, et les ambitions que lui dictent les nécessités stratégiques. Et rien ne paraît d’abord plus naturel et plus légitime que cet impérialisme italien. En Istrie, en Dalmatie, au moins dans les villes, on a l’impression d’être en pays pleinement italien, et il semble que sur tout le pourtour de la mer Adriatique, de Brindisi à Venise, de Venise à Trieste et à Fiume, de Fiume à Raguse et à Valona, une même langue, une même civilisation, règnent en maîtresses. Dans toutes les villes du littoral oriental, partout on comprend et on parle l’italien ; et jusque sur les navires de guerre de la flotte autrichienne, dont les équipages se recrutent

  1. J’emprunte cette citation, ainsi que quelques autres, à l’intéressant petit livre de M.Ch. Vellay, la Question de l’Adriatique, Paris, 1915.