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aperçut cette batterie d’appareils braquée sur sa citadelle, et il en fut très ému, si ému qu’il en référa tout aussitôt à Sebenico. Et notre bateau était à peine au mouillage que notre capitaine était mandé chez le commandant du port et invité impérativement à livrer tous les clichés où se profilerait l’image suspecte de la forteresse qui garde l’entrée de Sebenico. Il fallut obéir et livrer en holocauste quelques victimes. Je crois bien que plus d’une, pourtant, échappa au sacrifice, sans que d’ailleurs nous ayons par là compromis bien sérieusement, je pense, la sécurité de la monarchie.

Mais plus d’une fois, au cours du voyage, nos photographes se heurtèrent à des consignes aussi rigoureuses, et si on leur permit de photographier librement les monumens vénitiens de Trau, les ruines de Salone, ouïes remparts surannés de Raguse, il fallut, en revanche, pour obtenir l’autorisation d’emporter les appareils en Bosnie, toute une petite négociation diplomatique, et il fut absolument interdit de les débarquer à Cattaro.

Ces menus incidens, qui font sourire, indiquent pourtant un état d’esprit. Pour que l’administration autrichienne jugeât nécessaires tant de précautions jusqu’alors inconnues, il fallait évidemment qu’elle tînt à ne pas laisser voir certaines organisations de date récente et d’importance appréciable, toute une préparation militaire que sa défiance craignait de laisser trop tôt découvrir.

En même temps qu’elle développait dans l’Adriatique sa puissance navale, l’Autriche s’appliquait à y conquérir la prépondérance économique. Ses grandes Compagnies de navigation, le Lloyd de Trieste, l’Ungaro-Croata de Fiume, envoyaient leurs navires dans les moindres ports du littoral et des îles dalmates, et au delà, le long des côtes albanaises, jusqu’à Corfou, et progressivement elles évinçaient la marine italienne de tout le rivage oriental de l’Adriatique. Pareillement, en Istrie et en Dalmatie, l’administration autrichienne faisait rude guerre à l’élément italien, qui, dans les villes surtout, tenait, par l’intelligence, la richesse, les souvenirs, plus que par le nombre, une place importante et qui semblait inquiétante. Contre cet élément réfractaire, fort habilement l’Autriche soutenait les revendications des Slaves, qui forment incontestablement la majorité de la population du pays. Et peu à peu, le vernis léger d’italianisme, que la longue domination de Venise