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physique qui distingue les deux rivages, sont nées, à toutes les époques de l’histoire et aujourd’hui plus que jamais, des ambitions rivales et des luttes ardentes, grosses de conséquences incalculables.

On sait quelles sont ces ambitions. Politiquement, l’Adriatique est aujourd’hui austro-hongroise pour une part, italienne pour une autre, et, pour une portion, monténégrine et albanaise, en droit, sinon en fait : depuis le mois de janvier 1916, en effet, les troupes autrichiennes occupent le Monténégro et elles ont progressé en Albanie jusqu’au delà de Durazzo et jusqu’aux approches de Valona. Par l’effet de ce partage de domination, la mer Adriatique a été, depuis près d’un demi-siècle, le champ clos où se heurtent les influences rivales, les ambitions contraires ; elle l’est aujourd’hui plus âprement que jamais. Les uns aspirent à y maintenir leur ancienne suprématie et à l’accroître ; les autres visent à y établir, en évinçant des rivaux détestés, leur domination incontestée. Les uns poursuivent comme but l’établissement d’une prépondérance politique et militaire ; d’autres cherchent à s’y ouvrir des débouchés économiques nécessaires à leur existence. A côté de l’Autriche et de l’Italie qui s’affrontent, les Slaves du Sud font entendre leurs revendications ; l’Albanie prétend à l’indépendance ; la Grèce, la Bulgarie, à une part d’influence. Par là, la lutte pour l’Adriatique est, aussi bien pour la domination de la Méditerranée que pour celle de l’Orient balkanique, un des problèmes importans de l’heure présente. Que sont ces ambitions diverses et contraires ? Sur quels titres se fondent-elles ? Que réclament-elles et quelles réalisations peuvent-elles espérer ? Entre tant d’adversaires, auquel ira vraisemblablement l’avantage et reviendra la prépondérance ? Autant de questions de portée essentielle, qu’il faut essayer d’expliquer brièvement.


I

L’Autriche est une nouvelle venue aux rivages de l’Adriatique : il y a un siècle à peine qu’elle a ramassé l’Istrie et la Dalmatie dans l’héritage de Venise. Le traité de Campo-Formio les lui donna en 1797 ; Napoléon en 1805 les lui reprit pour quelques brèves années ; puis le Congrès de Vienne en 1815 les lui rendit, et depuis lors elle y règne. Pourtant, intruse et