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de vivre ! » C’est là cette fatalité, ce Destin où il semble que des hasards collaborent, et qu’on appelle aussi la force des choses. Dira-t-on que l’historien condamne l’ancienne monarchie ? Pas du tout ! mais il croit qu’elle était condamnée. Il ne la condamne pas ; il lui rend hommage : qui a mieux vu que lui la grandeur qu’elle a donnée à la France, et qui a mieux vanté cette grandeur ?...

Peut-être aussi, dans ses conclusions, met-il plus de fatalité que son récit n’en découvre. Le lecteur de ses deux volumes, averti par lui des fautes et des faiblesses d’un chacun, se demande si fautes et faiblesses ne sont pas cette fatalité à laquelle tout a l’air d’aboutir. Faiblesses qui n’étaient pas inévitables, et les fautes non plus ! Peut-être conviendrait-il de ne pas croire que la Révolution fût voulue par le destin, fût nécessaire. A la volonté fléchissante de ceux qui avaient pour mission de résister s’opposa la volonté de ceux qui attaquaient. L’une triompha de l’autre ; mais a-t-on certainement raison de penser que l’autre était vaincue d’avance ?...

Elle a été vaincue. Et, le commencement de sa défaite, avec Turgot, Necker, le marquis de Ségur l’a mis sous nos yeux, comme il avait promis de le faire, si précisément que, même pour réviser le procès, on trouvera dans ses deux volumes les pièces et les argumens à plaider.

« L’esprit, le goût, les grâces aimables et légères, toutes choses que la Révolution commencée jugeait déjà superflues, en attendant que la Terreur les déclare criminelles et que les prisons républicaines leur servent de dernier refuge... » Ces dernières lignes du Royaume de la rue Saint-Honoré indiquent une esquisse, tracée de longtemps, et le projet de nouvelles peintures. Avec la série de ses conférences sur Marie-Antoinette, le marquis de Ségur s’acheminait à la crise et aux suprêmes infortunes de l’âme qu’il a étudiée, l’âme d’un temps qui a subi les calamités les plus effroyables. Il nous aurait montré dans la tempête cette âme de l’ancienne France, fine et fière et, jusqu’à la fin, gardant sa beauté, son agrément, son parfum.

Seulement, il est mort.


Sa nature charmante, les belles traditions de sa famille et la pensée habituelle de l’histoire lui formaient un personnage infiniment rare et exquis. « A vous bien considérer, vous êtes