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d’aimer à parler de soi, sous une forme détournée ; » il répondait que les descendans d’un homme qui a joué un rôle dans l’Etat sont mieux pourvus qu’un étranger ne le serait des documens et aussi des traditions. Il éprouvait un embarras de timidité à dérouler la généalogie de sa famille ; mais il observait que les générations successives laissent les unes sur les autres une mystérieuse et vivace empreinte. Il ne disait pas, on peut dire pourtant, que l’arrière-petit-fils entendrait facilement l’aïeul. Et, en publiant Au couchant de la monarchie, il ne disait pas, on peut dire pourtant, que l’héritier d’une famille qui « fait partie de l’histoire de France » aurait une intelligence privilégiée des péripéties de cette histoire. Des conditions particulières où il se trouvait, ce qu’il a senti le plus vivement, c’est un devoir impérieux, le devoir d’impartialité. Son grand souci fut la justesse : « Relatant des faits qui sont encore bien près de nous, touchant à des passions qui ne sont pas encore éteintes, j’ai fait les plus sincères efforts pour oublier et mes idées et mes sympathies personnelles, pour me dégager de mon mieux des sentimens ou, si l’on veut, des préjugés héréditaires, pour ne servir d’autre intérêt que celui de la vérité, sans chercher à qui elle profite. » Ces efforts sincères ne lui ont guère coûté, je suppose : car il avait la pureté de l’esprit naturelle et habituelle. Mais le problème auquel il s’attaquait n’est pas de ceux qu’on résout sans peine : comment mourut la monarchie ? et de quoi mourut-elle ? les causes ne sont pas simples et distinctes. Un jeune prince, d’une excellente probité, qui a les meilleures intentions du monde ; auprès de lui, certains ministres qui sont hommes de tête et hommes de bien ; sur leur route, le Roi et ses ministres rencontrent des « pièges sournois, » des « obstacles perfides ; » et les erreurs qu’ils ont pu commettre ; et les malchances qu’ils ont eues ; enfin le Destin, si cruel à « ceux dont il a résolu la perte : » voilà, en résumé, les élémens qu’a démêlés l’historien. La volonté des individus est déterminante ; les volontés diverses des individus se contrarient. La volonté humaine n’est pas tout : il y a le hasard. Et le hasard, quelquefois, a un jeu si étrangement suivi qu’on est tenté de voir en lui la fatalité. En définitive, le marquis de Ségur a estimé que l’ancienne monarchie « n’avait pas su se rajeunir » et succomba, comme disait de soi Fontenelle en sa centième année : « Je meurs d’une impossibilité