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anecdote. Une anecdote, même extraordinaire, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui « la petite histoire. » Mais, à mesure que la petite histoire se développe, — et le marquis de Ségur compte parmi nos écrivains qui ont le mieux contribué à son très utile succès, — l’on s’aperçoit qu’elle est, à n’en pas douter, l’histoire. Les détails précis remplacent les vagues discours ; les faits incontestables remplacent les théories de hasard ; et enfin, les hommes, vivans, agissans et efficaces, remplacent les fameuses « lois de l’histoire » ou la vaine « philosophie de l’histoire » qui n’était que du néant, mais emphatique. Avec son maréchal de Luxembourg, le marquis de Ségur a su ramener à la lumière une abondante série d’années. Sa minutie ne l’égare jamais : elle lui fournit ses matériaux ; et il bâtit avec de la réalité. Il bâtit dans le style du temps. Peut-être n’a-t-on rien écrit de plus fidèlement « Louis XIV » que les dernières pages du Tapissier de Notre-Dame, où le vainqueur fait sa rentrée à Paris, se rend à Notre-Dame, tandis qu’un Te Deum célèbre la victoire de la Marsaille. Les drapeaux qu’il a pris à l’ennemi pendent des voûtes de la cathédrale ; toute la nef est comme fleurie d’étendards. Chétif et de petite taille, il a traversé le parvis, la foule. Conti le voit et crie : « Place, place au tapissier de Notre-Dame ! » La foule se sépare et forme deux haies ; les chapeaux saluent : « et, parmi les acclamations, passe l’homme en qui s’incarnait alors la fortune du royaume de France. »

Après avoir ainsi décrit les plus belles heures de la monarchie, le marquis de Ségur en a étudié le déclin. Du Tapissier de Notre-Dame aux deux volumes qu’il a intitulés : Au couchant de la monarchie, l’intervalle du temps est moins grand que le contraste n’est pathétique. L’historien de la monarchie florissante et puis mourante n’a point abordé sans émoi cette malade auguste. Il revenait à son époque favorite ; mais, comme naguère il en regardait les élégances, les alarmes privées, il en va examiner les souffrances publiques, les fautes et les malheurs irréparables. Il revenait au sujet qu’il avait déjà touché dans son premier ouvrage. Le maréchal de Ségur est ministre de Louis XVI au couchant de la monarchie. Or, quand le marquis de Ségur entreprenait d’écrire l’histoire de son ancêtre, il avouait un scrupule : écrire sur quelqu’un de sa famille, disait-il, vous expose « au fâcheux soupçon