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des blessés ; quiconque n’est pas de cette humeur n’a que de la mollesse ! » Il dénigrait l’honneur et la justice comme « des chimères dont se repaissent les âmes infatuées de préjugés ; » et il ne reconnaissait pour maîtres du monde que l’argent et le fer. Voilà un homme du grand siècle ? Oui ! seulement, c’est un Boche. Et Christophe-Bernard von Galen prouve que, même à l’époque où la civilisation de France adoucit l’Europe et l’embellit, un Boche reste sauvage.

Un XVIIe siècle assez tumultueux, animé, souvent exalté de rudes passions, et qui, sous de fortes disciplines, montre encore de la frénésie : une telle image a séduit plusieurs critiques et historiens. Une telle image serait facilement inexacte ; et elle invite au paradoxe. Le marquis de Ségur ne l’a point adoptée ; mais il en a gardé ce qu’elle contient de vérité, afin de ne céder pas plus qu’à elle à l’image contraire d’un Grand Siècle tout confit en raison noble et tout guindé. Les trois volumes qu’il a consacrés au vainqueur de Fleurus, de Steinkerque et Nerwinde, au tapissier de Notre-Dame, au continuateur de Condé, composent un admirable tableau d’histoire diligente et largement prise. La méthode est celle qu’il a suivie dans ses études précédentes : méticuleuse. Il a peint ce portrait d’homme et de héros de même que ses fins portraits de femmes tendres ; mais avec une ampleur et avec une vigueur de touche, un éclat de couleur, une vivacité d’entrain qui conviennent à ce nouveau modèle. C’est encore une monographie ; mais, autour de ce personnage qui est un maitre d’événemens, toute la réalité contemporaine apparaît. François de Montmorency-Boutteville, maréchal duc de Luxembourg, ce « méchant bossu, » le plus malin des courtisans, le plus inquiétant des railleurs, l’esprit le plus aventureux, intelligence merveilleuse, caractère bizarre, impitoyablement égoïste et capable de pur dévouement, mêlant la petitesse et la grandeur, et qui, à la veille d’une bataille, examinait avec Racine le plan d’une tragédie : quel homme ! Et sa vie, bien digne de son humeur : condamné à mort pour rébellion contre le Roi ; bientôt, comblé par le Roi de toutes les faveurs ; il remplace Turenne et remplace Condé ; puis il est jeté à la Bastille avec des escrocs et des empoisonneurs ; il sort de là, et monte dans la gloire plus haut que personne ; il meurt en pleine apothéose. La vie du maréchal de Luxembourg est une extraordinaire