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Pour parer aux dangers que courait Mondement, le général Dubois, la veille, avait consenti à se démunir d’un de ses meilleurs effectifs en faveur du général Humbert : détachant le 77e d’infanterie du 9e corps, ou plutôt, le faisant glisser légèrement vers la gauche, il l’avait envoyé en soutien des régimens de tirailleurs et de zouaves qui défendaient les abords du château vers la crête du Poirier. Jusqu’à midi, le 77e garda la liaison. À ce moment, un ordre de Foch le réclama d’urgence pour renforcer sa droite fléchissante : le régiment devait être immédiatement dirigé sur Linthes. Il partit. En pleine bataille, un vide aussi important dans nos lignes ne pouvait échapper à l’ennemi, qui jugea le moment favorable pour tenter, par Reuves et Oyes, un nouvel effort sur Mondement.

Depuis la veille, du Petit-Broussy, en se couvrant par de légères tranchées, en s’aidant des cheminemens naturels que lui offraient les lignes d’arbres et les roseaux, il gagnait vers ces deux villages. Par la route même de Villevenard à Oyes, que borde un mince affluent du Petit-Morin, le Boron, il se glissait à trois heures de l’après-midi[1] vers la barricade établie à la hauteur de l’ancien prieuré de Saint-Gond. Nos positions avaient été au préalable fortement bombardées : les marais n’étaient « qu’un brouillard de fumée ; » les obus, toute la matinée, avaient plu « sur Oyes, Reuves, Mondement[2]. » Un peu avant trois heures, ils commencèrent à s’abattre sur Saint-Gond.

Baigné de douves encore visibles sous la profusion des plantes d’eau, le prieuré désaffecté de Saint-Gond, sis au milieu des marais, y forme une manière d’ilot solide qui couvre environ sept arpens. C’est l’ancienne mesure celtique, demeurée en usage dans le pays. De l’abbaye primitive, brûlée par les huguenots, rebâtie au xvie siècle et convertie en prieuré, il ne reste presque rien ; du prieuré lui-même il subsiste peu de chose, le tympan d’un portail, l’arc d’une jolie fenêtre Renaissance encastrée dans des débris de communs, un fragment de carrelage en briques vernissées de Ghantemerle et deux ou trois peut-être des vieux arbres qui ombragent, au milieu de ces ruines, le toit rustique du dernier ermite de Saint-Gond,

  1. « Le lundi, nous avons combattu plus à droite. Enfin, le mardi matin, nous retournons à Villevenard, environ sept heures du matin… L’ordre arrive à trois heures de l’après-midi d’avancer. » (Lettre de L… à l’abbé Millard, 13 juin 1915.)
  2. Journal de l’instituteur Roland.