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de citer ces lignes de la vicomtesse de Noailles, femme impeccable et à qui son impeccabilité donnait le droit d’être indulgente : « Mon Dieu, qu’on est injuste pour ce temps-là ! Que la société distinguée était généreuse, élevée, délicate ! Que de solidité dans tous les liens ! Que de respect pour la foi jurée dans les rapports les moins moraux ! » La vicomtesse de Noailles, fille de la belle et malheureuse duchesse de Mouchy que Chateaubriand, dans le Dernier Abencerage a immortalisée sous le nom de Blanca et qu’il avait aimée en Espagne sous le nom de Dolorès quand il revenait de la Terre sainte, a écrit une Vie de la princesse de Poix, sa grand’mère ; et c’est dans ce petit ouvrage qu’elle réclame en faveur d’un temps calomnié. « Que de respect pour la foi jurée, dans les rapports les moins moraux !... » On le voit, elle fait la part du feu. Le marquis de Ségur la faisait aussi. Quand, après dix années de folies, Mme du Deffand se sentit lasse de dévergondage, elle résolut de se ranger : « Elle s’engagea dans une liaison sérieuse. C’était le refuge habituel des femmes qui se déclaraient mûres pour une existence régulière, qui éprouvaient du goût pour la paix du foyer et qui souhaitaient, selon l’expression usitée, faire retour à la bienséance... » Elle se sépara de son mari, qu’elle avait assez ridiculisé pour le croire un peu ridicule ; et son amant fut un magistrat qui, après une jeunesse orageuse, prétendait à une agréable respectabilité, un magistrat lettré, galant, le président Hénault. Et Julie de Lespinasse était la fille de la comtesse d’Albon, mais non la fille du comte d’Albon. Les deux époux, mal assortis, ne vivaient point ensemble. Mme d’Albon prit un amant : ce fut le comte de Vichy. Mais le comte de Vichy était un fort honnête homme. Et le marquis de Ségur a lu, dans un manuel de conscience écrit par une femme un peu avant la Révolution, ces lignes qu’il dit ingénues : « Madame a-t-elle un amant ? On demande qui il est ; la réputation d’une femme dépend de la réponse qu’on fera. Dans le siècle où nous vivons, ce n’est pas tant notre attachement qui nous déshonore que son objet. » Le marquis de Ségur avoue que la Régence et les années suivantes ont par trop manqué de tenue. Mais il ne veut pas que tout le siècle soit condamné. La seconde moitié du siècle a vu le libertinage passer de mode : et c’est bien quelque chose, que les « attachemens » succèdent aux « fantaisies. » Ces attachemens sont, pour ainsi dire, de nouveaux