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Mélancolie et curiosité : ces deux mots, réunis en devise, pourraient servir d’épigraphe à une partie de l’œuvre qu’a laissée le marquis de Ségur, à ses recueils de récits et de portraits, aux Gens d’autrefois, aux Silhouettes historiques, aux Vieux dossiers, et à telles de ses grandes études où il a ranimé, autour de quelque héroïne, plusieurs années de vie française, Julie de Lespinasse ou le Royaume de la rue Saint-Honoré. Curiosité, certes, et méticuleuse, et qui n’épargne point les âmes, et qui va jusqu’aux replis des âmes, afin d’y surprendre le secret de toutes passions et de toutes faiblesses. Il n’est pas de petits billets cachés dans les tiroirs des vieux meubles et que semblent protéger la poussière, la moisissure du papier, le jaune pâli de l’écriture, où cette curiosité ne pressente un aveu et, par bonheur, ne l’aperçoive. Or, on dit : « Que n’accordez-vous aux morts le dernier privilège d’être morts, le repos ? Ils ne sont pas à vous : ils ne sont plus qu’à l’éternité ; ne les tracassez pas !... » Jules Lemaitre répondait, ou à peu près : « Les morts sont beaucoup plus patiens que vous ne croyez, et plus indifférens !... « Lui, Ségur, s’il n’a pas formulé sa réponse, elle est implicitement contenue dans tous ses livres et dans leur indulgence. A mesure que lui devenaient plus familiers ses « gens d’autrefois, » il les aimait davantage ; il les donnait à aimer davantage et ainsi n’avait pas desservi leur mémoire. Comprendre et pardonner vont ensemble ; et le pardon véritable est un prélude d’amitié. Puis il y a, dans le pardon, cette mélancolie de la faute avouée et son regret. Le regret : mot qui a deux sens et qui les réunit quelquefois et qui ajoute au repentir le chagrin de ce qui n’est plus. Une faute finie est regrettable doublement. Ainsi la mélancolie corrige, embellit la curiosité.

Les héroïnes du marquis de Ségur n’ont pas à se plaindre de lui. Des pécheresses, pour la plupart, et qui n’étaient pas heureuses. Il les a traitées avec tous les égards dus à leur malheur et, en outre, à leur beauté. La plus pure d’entre elles est la dernière des Condé, la princesse Louise-Adélaïde, en qui meurt une race guerrière. Un grand amour est l’aventure de sa vie : un amour qui n’a porté nulle atteinte à sa candeur et qui ne fut pour elle que souffrance. Elle devint sœur Marie-Joseph de la Miséricorde et mourut sans que son âme « eût révélé toute la beauté de ses chants. » A côté d’elle, Marie-Catherine de Brignole, princesse de Monaco, est d’un autre caractère. Son aventure