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art aussi. Quant à utiliser l’histoire au gré des opinions qui lui étaient le plus agréables, comme font tels partisans, et charlatans trop souvent, c’est ce qu’il eût détesté : il accordait qu’on pût tirer de l’histoire des enseignemens, mais divers, et en général ceux qu’on attendait le moins. Il veillait à ne pas conclure d’avance ; et quelquefois il préférait ne pas conclure ensuite. Et l’histoire ne lui était pas une besogne, mais bien ce divertissement que je donnais à entendre : un divertissement de l’esprit hors du temps où l’on est.

« Ceux qui aiment à respirer le parfum des choses d’autrefois... » Peu d’historiens méritent d’être ainsi désignés. Et presque tous revendiquent, pour leur austère congrégation, d’autres louanges, plus scientifiques. Il y a là, pourtant, le principal. Ceux qui aiment à respirer le parfum des choses d’autrefois sont bien zélés à une recherche qui les aguiche. Et ils ne manqueront ni d’adresse ni de patience. Et, connaisseurs, ils ne mêleront pas le parfum d’une époque et le parfum d’une autre : ils ne se contenteront pas d’un parfum frelaté. Puis, tout à leur plaisir, ils ne mêleront point à leur plaisir un autre intérêt ; de sorte qu’ils seront plus désintéressés que personne : et c’est là une excellente condition pour écrire l’histoire et joliment et dignement. Si l’on a peur qu’ils arrangent la vérité à leur guise, et l’arrangent selon leur goût, selon leur concupiscence intellectuelle, on ignore tout de la vérité : l’on ignore qu’elle seule est savoureuse, pour les amis délicats et authentiques amateurs de l’histoire.

Le marquis de Ségur n’a résumé, d’une façon théorique, en nul de ses ouvrages, son idée de l’histoire ; mais, en tous ses ouvrages, il l’a rendue sensible. Parfois aussi une petite phrase est là, qui souligne l’intention. « Toute demeure où les siècles ont passé revêt un charme de tristesse, » dit-il au début d’un de ses livres où l’évocation des anciens jours est le plus parfaite, La dernière des Condé. Ces demeures des anciens jours, il les montre « périssables devant l’éternel rajeunissement de la nature » et, « au regard de nos brèves existences, » des symboles de durée. L’histoire est enfermée entre ces murailles plus solides que la vie et plus fragiles que le temps. Elle risque d’y mourir, de s’y dissoudre, de s’y évaporer ; il en faut recueillir les bribes, la cendre et l’odeur. Piété funèbre, et dont les rites sont de mélancolie et de curiosité !