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est une étude qui vous demandera toute votre pensée ; elle vous demande aussi des vœux sévères : on entre en histoire un peu comme en religion. Le sentiment qui vous a conduit d’abord vous accompagnera. Le sentiment qui a mené le marquis de Ségur à l’histoire est celui-là que j’indiquais, le désir d’aller ailleurs et d’y établir sa rêverie. C’est un sentiment analogue à celui qu’on observe parfois dans le cours des littératures et qui fait que poètes et conteurs vont au loin, jusqu’aux pays exotiques, chercher l’asile de leur songe. L’éloignement dans l’espace ou le temps, en quête d’un abri ! Du reste, j’avoue que nous avons un grand nombre d’historiens pour qui l’histoire est une besogne qu’ils accomplissent jour après jour, en sages ouvriers ou manœuvres. Pour d’autres, l’histoire est un sacerdoce : voire, certains en abusent et ne sont que des charlatans. Pour d’autres, elle est de la science : et l’on sait qu’ils ont la science revêche. Ah ! l’histoire est tout ce qu’on voudra, pourvu qu’elle soit quelque chose, et non pas seulement du néant pédantesque !... Une science ? Le marquis de Ségur ne dit pas non : « plutôt une science, » dit-il ; et, s’il atténue ainsi la rigueur du titre que tant d’historiens réclament pour l’objet de leur étude, ce n’est pas qu’il estime peu les nouvelles méthodes, mais il évite les dangers d’un vocabulaire présomptueux. Il a considéré comme « l’un des mérites » du siècle précédent le « scrupuleux souci de l’exactitude historique. » Il s’est plu à ces révisions de jugemens que la critique moderne a opérées. Il a vanté nos érudits de contrôler sans complaisance les allégations des chroniqueurs, les témoignages des contemporains, et de pousser jusqu’à la manie peut-être l’incrédulité provisoire. Il se félicite de voir maintes vérités imposantes se discréditer et, par le soin des enquêteurs, tourner à n’être plus que des erreurs bien achalandées : toujours achalandées, car il ne compte pas qu’une dissertation savante ait facilement raison d’une légende populaire. Les méthodes des érudits, il les avait adoptées ; il en a fait l’emploi le meilleur et le plus attentif. Au surplus, ce n’est pas une sorcellerie ; ce n’est pas ce qu’on pourrait imaginer, et craindre, les méthodes : mais un ensemble de stratagèmes, de précautions, de l’habileté, du bon sens et du goût. Le marquis de Ségur allait aux sources d’information, visitait les archives, examinait tous les documens. Et il admettait que l’histoire fût, sans doute, « plutôt une science : » un