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était désigné pour « la première charrette. » Il ne fut pas de la première, mais d’une autre. Un « garde des Sceaux vigilant » tourna les choses de façon que Vandal eût à s’en aller ; il s’en alla et ne fit pas claquer la porte derrière lui.

Cette anecdote, c’est la seule, il me semble, où, dans les écrits du marquis de Ségur et dans sa causerie, on pût sentir de l’amertume. Il s’impatiente, ici, à propos d’Albert Vandal et laisse deviner que pareillement il s’impatiente à propos de lui-même. Quitter le Conseil d’Etat, ce n’était, ni pour Vandal ni pour Ségur, un désastre ou l’échec d’une ambition déterminée. Ce fut, pour Ségur, très exactement ce noble dépit : on l’empêchait de servir ! Tous les siens, sous divers régimes, avaient servi ; et lui-même se sentait aussi prêt que nul d’entre eux à servir, selon l’avis du maréchal à son petit-fils, « avec franchise et loyauté. » Je me rappelle la ferveur et l’ardeur de ses paroles, un jour qu’il me racontait les audiences du procès Bazaine et la réponse fameuse du duc d’Aumale à cet accusé qui bredouillait : « Il n’y avait plus d’Empire, plus rien... » — « Il y avait encore la France ! » Une telle réplique, Ségur en faisait une maxime : il y a toujours la France. Il avait voulu la servir, sans arrière-pensée, pour le seul honneur ou le simple devoir de servir. L’empêchement, ç’avait été « l’odieuse politique : » jamais il ne lui pardonna. La politique, au sens qu’a pris ce mot par le malheur des temps, le gouvernement de la cité devenu la querelle des citoyens, voilà l’unique objet de haine qu’on lui ait connu ; et, l’union sacrée, il n’est pas de ceux qui ont eu besoin d’une guerre pour y voir le salut des citoyens et de la cité.


Quand le présent vous a offensé, le passé vous est plus charmant. Le marquis de Ségur l’appelle « consolation du présent, refuge contre la tristesse ; » et les « paisibles rives du passé » le tentent ; le rêve du passé lui sert de « merveilleux alibi » pour échapper à des réalités urgentes, qui le froissent. Il n’était pas un homme d’autrefois. Spontanément, il n’allait point aux siècles révolus. Il était, de nature, un homme d’aujourd’hui, plus confiant que beaucoup d’autres, et qui même n’eût pas redouté l’imprudence, et qui soudain se détourne et soudain retourne au passé.

Il y a, au principe de toute vocation, comme au début de toute conversion, une crise de l’âme et de l’esprit. Et l’histoire