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lignée : elle est signe de liberté, de noblesse ; elle implique une certitude et une évidence. Les deux Ségur sans cérémonies en donnaient la preuve et la donnaient persuasive. Puis, ce vicomte de Ségur, qui a le goût de l’ombre, et qui ne portera plus l’habit de colonel du régiment qu’il avait avant la Révolution, et qui servira dès que la patrie aura besoin de son service, l’honneur l’engage à faire une différence marquée entre la France et le régime de la France ; mais, sous le régime, il continue de voir la France. Son père, le maréchal de Ségur, n’avait pas émigré ; la Révolution l’emprisonna, lui confisqua ses biens, vendit à l’encan sa maison, ses meubles, ses livres et le trésor de fines éditions, de belles reliures, qu’il avait composé, les archives de sa famille, et le laissa dans la pauvreté.

Or, le matin du 18 brumaire, Philippe de Ségur, le petit-fils du maréchal, était à Paris. Adolescent rêveur, il se promenait et vit soudain s’ouvrir la porte du jardin des Tuileries. Un régiment sortit, le neuvième dragons, manteaux roulés, casque en tête, sabre en main et, sur les visages, l’air « qu’ont les soldats lorsqu’ils vont à l’ennemi. » Aussitôt, l’adolescent frissonne ; le « sang guerrier » qu’il a dans les veines bouillonne : Philippe de Ségur sent qu’il est soldat et, peu après, s’engage comme le dernier des hussards dans les volontaires de Bonaparte. Avant de rejoindre son régiment, il dut aller saluer son grand-père. Et le vieillard, d’abord, l’apostropha : « Vous venez de manquer à tous les souvenirs de vos ancêtres. Mais c’en est fait, songez-y bien. Vous voilà enrôlé dans l’armée républicaine : servez-y avec franchise et loyauté ! » L’enfant pleurait. Le vieillard, de la seule main qui lui restait, ayant perdu le bras gauche à la bataille de Lawfelt, saisit le hussard de Bonaparte, le tira vers lui et le serra sur son cœur. Le hussard de Bonaparte fut le général de Ségur. Le 22 vendémiaire an IX, peu de mois après la généreuse « frasque » de son petit-fils, le vieux maréchal apprit officiellement que, d’ordre du Premier Consul, il recevrait la solde que la République attribuait, pour leur retraite, aux généraux de division : six mille francs, de quoi sortir de pauvreté. Il demanda audience à Bonaparte, afin de lui porter ses remerciemens, Bonaparte le reçut aux Tuileries, alla au-devant de lui, l’accueillit avec déférence et, l’entretien fini, le mena jusqu’au perron du palais. Et, ici, la garde consulaire attendait, faisant