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d’un coup d’arquebuse. On était, les uns disent au 27 novembre, les autres au 2 décembre. Antonio seul le veilla, et toute la nuit les yeux de François demeurèrent attachés sur le crucifix. Au crépuscule, le jeune Chinois vit qu’il allait mourir ; il lui mit dans la main un cierge qui s’éteignit, car le vent pénétrait sous la misérable paillote. Et sans effort, sans râle, son corps seul resta étendu sur le sol. Ainsi l’oiseau de feu des Moluques ne touche la terre qu’au moment où la vie l’abandonne.

On l’enterra l’après-midi dans un cercueil chinois. Il n’y avait que quatre personnes présentes : le Portugais qui l’avait recueilli, Antonio et deux mulâtres. Un de ces deux mulâtres proposa de répandre de la chaux dans le cercueil. On le décloua, on versa la chaux, puis on marqua de quelques pierres l’emplacement de la sépulture. Les Portugais du Santa Croce ne se dérangèrent point. Selon Pinto, l’un d’eux, quinze jours plus tard, écrivit à don Alvaro de Ataïde que le Père maître François de Xavier était mort, et sans faire aucun miracle. Pinto est toujours suspect. Je crois pourtant qu’il a bien rendu le sentiment des Portugais. Ils n’étaient point fâchés de la disparition d’un apôtre dont, au fond du cœur, ils redoutaient le pouvoir mystérieux. A l’impression de délivrance qu’ils éprouvaient s’ajoutait le soulagement de voir que sa mort, une pauvre et simple mort, n’avait été accompagnée d’aucun prodige, que le vent n’avait pas soufflé plus fort, que les flots n’avaient pas étrangement mugi et que le Santa Croce était resté à sa place. L’indifférence des élémens justifiait à leurs propres yeux l’insouciance affreuse où ils avaient laissé agoniser et s’éteindre un des plus magnifiques efforts de la nature humaine.

Cependant, ils n’osèrent pas revenir à Malaca sans les restes mortels de celui qui, même pour eux, était désormais un saint. Le 17 février 1553, au moment de lever l’ancre, le capitaine chargea un homme de confiance d’exhumer le corps et de s’assurer s’il était dans un état qui permît le voyage. Le cadavre intact n’exhalait d’autre odeur que celle de la chaux dont il était recouvert. L’homme coupa un morceau de chair qu’il rapporta au capitaine, et celui-ci, l’ayant flairé, loua Dieu et fit embarquer le cercueil.

Le voici encore une fois sur les mers, mais immobile et muet. Comme ils avaient déchiré son cœur, les hommes mutilèrent son cadavre. Chaque triomphe dont ils l’honorèrent fut