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« passer » et elles se repliaient vers minuit sur Connantre, quand une estafette à cheval les arrêta sur la voie ferrée pour leur enjoindre de se reporter au Puits-Perdu et d’y reprendre l’offensive le lendemain[1](1). C’est ainsi qu’un vrai chef sait tenir ses troupes en haleine. Une autre contre-offensive, exécutée dans la direction de Gonnantray par la 60e division de réserve, était plus heureuse le même soir et parvenait à réoccuper les hauteurs au Nord d’Œuvy. D’autre part, la 9e division de cavalerie, toujours en liaison avec le 17e corps de la 4e armée, avait pu appuyer une attaque de celle-ci, déclenchée au cours de l’après-midi, dans la région de Sompuis. Et enfin, à notre gauche, Mondement, l’imprenable Mondement, continuait à résister.

Le repli du 11e corps sous des forces écrasantes n’en rendait pas moins éminemment précaire la situation du 9e, qui tenait le Sud des marais (ligne Oyes-Reuves-Mont-Août-Puils), et des divisions qui luttaient autour du château. L’unité de l’effort ennemi ne pouvait manquer de se manifester dans la même journée par une tentative vigoureuse pour nous chasser de ces deux positions.

Là encore, — preuve que von Bülow et von Hausen avaient concerté leurs mouvemens, — l’attaque se déclencha en pleine nuit, aux approches de trois heures. Les malheureux châtelains, qui s’étaient endormis pleins de confiance, furent réveillés par un fracas d’explosions qui ne laissait aucun doute sur les intentions de l’ennemi. C’était l’habituelle préparation d’artillerie qui précède les grandes vagues d’assaut. Peu après, par le bois des Grandes-Garennes et le bois de Saint-Gond, par la coulée de Montgivroux, l’ennemi s’infiltrait autour du château. Nos

  1. « Les Allemands occupaient la route depuis Fère, la gare de Fère et plus loin dans la direction de Bannes. Et c’est à cette route que vint se heurter notre attaque. Il nous fut impossible de passer. La situation était critique pour moi comme pour mes chefs, quand je me rappelai que la voie ferrée, à l’arrivée de la gare de Fère, était encaissée fortement. Je m’y élançai et c’est là que j’installai ma compagnie, et il n’y avait pas trois minutes que j’y étais quand notre artillerie bombarda la gare de Fère ; je n’en étais pas à 100 mètres, je me reculai même un peu pour éviter les coups trop courts et, à minuit, silencieusement, sous la direction de mon chef de bataillon qui m’avait rejoint, nous allions regagner Connantre, quand une estafette à cheval nous arrêta sur la voie ferrée que nous suivions pour nous donner l’ordre de nous reporter au Puits-Perdu, pour y recommencer l’attaque le lendemain. Mais les Allemands ne nous laissèrent pas le choix, et c’est eux qui nous attaquèrent, et furieusement, au point du jour. » (Lettre du sous-lieutenant M…, Courrier de Sézanne.)