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qui avait tant recommandé et ordonné aux Pères le respect absolu des autorités religieuses et civiles, se trouvait obligé de brandir les foudres de l’excommunication sur la tête d’un capitan portugais. La ville de Malaca prit le parti de don Alvaro : elle avait trois ans à vivre sous ses lois. Et beaucoup de gens sans doute n’étaient point fâchés de voir mépriser un juste. Malaca lui devint bientôt inhabitable. On l’insultait dans les rues. Des gens, qui avaient participé de leurs deniers à l’expédition de Pereira, venaient lui reprocher leur ruine. Il se réfugia sur le Santa Croce. Il ne descendait plus à terre. Pereira n’eut pas un mot amer ; il veilla au contraire à ce qu’on l’entourât de soins sur ce navire, le sien et le seul où il lui fût défendu de s’embarquer. Enfin, vers la mi-juillet, le Santa Croce appareilla avec un équipage choisi par don Alvaro. On raconte que, François étant retourné dans la ville pour dire adieu à ses amis, le vicaire lui conseilla d’aller saluer le capitan, afin qu’il n’y eût pas de scandale. Mais François refusa : « Don Alvaro, dit-il, ne me verra plus en cette vie. Je l’attends au tribunal de Dieu. » Il pria pour lui en passant devant l’église ; puis il ôta ses chaussures, en secoua la poussière contre une borne et monta dans une barque. Ce furent là ses adieux à la terre portugaise.

Sur ce navire, où François voit autour de lui des visages hostiles, il n’a gardé à ses côtés que l’interprète chinois, son domestique Christophe le Malabar, et le Frère Ferreira. Il a dirigé le Père Balthazar vers le Japon, comme s’il ne voulait distraire, pour une entreprise qu’il sent désormais condamnée, aucune parcelle de cette énergie que réclament des œuvres déjà vivaces. Le voyage fut rapide. Les Portugais de San Choan s’empressèrent de mettre leurs huttes à la disposition du Père ; et, sur sa prière, ils lui firent une chapelle de paille où il pourrait célébrer la messe et catéchiser les enfans et les esclaves. Puis il commença à se lier avec les marchands chinois qui l’écoutaient et lui répondaient selon son désir. Encore une fois il se laissait séduire aux espérances dont ils le flattaient avec l’air de gravité sarcastique si fréquent sur leurs faces lunaires. Ces honorables contrebandiers avouaient que la loi chrétienne leur paraissait valoir mieux que la leur. « Mais ajoute François, leur sentiment ne vient peut-être que de leur amour des nouveautés. » A ce petit mot, on devine qu’il n’a