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Il dormait de moins en moins et parlait de plus en plus dans ses courts sommeils. Sa santé chancelait. Il ne pouvait rien manger sans d’intolérables souffrances. On ne nous dit pas que personne essaya de le retenir. Le Vice-Roi avait approuvé l’ambassade de Pereira. Et pourtant personne ne conservait l’espérance de le revoir ailleurs que dans la vallée de Josaphat. Et lui-même il n’espérait point revenir. Le 14 avril 1552, le soir du Jeudi-Saint, quand on eut très solennellement enfermé le corps de Notre-Seigneur, il partit sans pompe, sans cortège. Quelques Pères seulement le conduisirent au navire. Les autres demeurèrent près du Saint-Sacrement à prier pour lui.

Il n’emmenait que le Père Balthazar Gago, le Frère Alvaro Ferreira et un jeune interprète chinois. Il emportait des ornemens de brocart, du velours, de la soie, plusieurs dais et tapis de grand prix. De Cochin à Malaca, triste et dur voyage, agité par les tempêtes, assombri par les pressentimens. Malaca était la proie d’une épidémie et surtout d’un nouveau capitan, don Alvaro de Ataïde, quatrième fils de Vasco de Gama. Quelques années plus tard, ses malversations le firent ramener en Europe et condamner à une détention perpétuelle. Diogo Pereira, lui, avait tout préparé pour son ambassade. Son navire revenait des îles de la Sonde chargé de marchandises quand le capitan déclara qu’il ne souffrirait pas qu’un marchand partît en qualité d’ambassadeur. Il ne l’empêchait point d’envoyer ses marchandises en Chine ; mais il lui interdisait d’y aller. Le titre conféré à Pereira avait excité contre lui des jalousies d’autant plus violentes que personne ne doutait qu’il en retirerait d’énormes bénéfices. On peut même s’étonner que le Vice-Roi ait si facilement accordé à un simple marchand l’honneur de représenter le roi de Portugal près du plus grand monarque de l’Asie. Don Alvaro, qui n’avait été ni consulté, ni prévenu, eût été excusable de lui présenter ses objections et d’attendre sa réponse. C’eût été tout au plus un retard de quatre mois. Mais rien n’excuse sa brutale grossièreté. Devant ses refus et ses injures, François se rappela qu’il était nonce apostolique et qu’une décrétale frappait d’excommunication ceux qui empêchent les nonces apostoliques d’exercer leur office. Quand on lui avait lu les Provisions du Vice-Roi, le capitan avait craché par terre et s’était écrié : « Voilà le cas que j’en fais ! » Il fit exactement le même cas de la décrétale. Ainsi, après dix ans de modestie et d’humilité, François,