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à vingt-cinq lieues au Sud de Macao. Les Portugais, chassés de la Chine, et dont plusieurs pourrissaient encore dans les geôles de Canton, y donnaient rendez-vous aux contrebandiers chinois. Ils vivaient la plupart du temps sur leurs vaisseaux, de peur d’être surpris par les mandarins. Quand ils descendaient à terre, ils se construisaient des cabanes de paille qu’ils brûlaient au départ. L’île était dure, triste, sauvage, aussi inhospitalière que toutes les îles montagneuses de cette côte, qui sont comme les ouvrages avancés de la malveillance chinoise. Le vaisseau de François s’y arrêtait. Par bonheur il y rencontra un ami, le marchand Diogo Pereira, qui regagnait Malaca. Aucun pressentiment ne l’avertit qu’avant la fin de l’année suivante il ferait plus intime connaissance avec cette terre qui se refermerait sur lui.

Le Santa Croce appareilla. François ne rêvait plus que de la Chine et confia ses projets à Pereira. Ces vieux routiers des mers étaient aussi indulgens à leurs rêves que les apôtres,. L’idée d’une ambassade chargée de présens à l’empereur de Chine, qui accorderait aux apôtres la liberté d’enseigner leur doctrine et aux marchands de commercer dans tout l’empire, ne souleva aucune objection chez Pereira ; et, comme François craignait que le Vice-Roi ne jugeât l’expédition trop onéreuse, il promit d’en prendre les frais à sa charge et d’accepter d’être l’ambassadeur. Vous les entendriez le soir, sur le tillac du navire ; et vous croiriez écouter deux adolescens romanesques qui se flattent de pénétrer dans la caverne du Dragon et de conquérir le monde avec son trésor. Pourtant l’un est un homme d’affaires, l’autre un savant ouvrier apostolique ; et ils ont à eux deux vingt ou trente ans de dures expériences dans l’Extrême-Orient. Mais l’un se voit déjà à la tête d’une ambassade et ramenant des ballots de soie ; l’autre contemple déjà sur toutes les faces païennes de ce nouvel univers la première lueur de l’éternelle vérité. Le plus optimiste fut bientôt l’homme pratique, le marchand. Pour François, à mesure qu’il déroulait son vaste projet, la réussite lui en paraissait plus hasardeuse. « Vous verrez, disait-il à Pereira, que le Diable empêchera tout. » Pereira finissait par se fâcher. Et François lui répétait : « Vous verrez ! vous verrez ! » C’était la première fois qu’il doutait d’une de ses entreprises.

Quand il parvint à Malaca, la ville sortait d’un siège où elle