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demeura près de lui. D’ailleurs, ce souvenir restait lié à celui d’un événement assez considérable pour sa maison. François n’était pas depuis une huitaine de jours à Funai qu’une révolution éclata à Yamaguchi. Un des vassaux de Yoshitaka leva des troupes, envahit la ville et en commença le pillage et l’incendie. Le prince, trahi par ses soldats, s’enfuit et, sur le point d’être rejoint, fit tuer son fils et s’ouvrit le ventre. François, qui nous raconte la chose, n’ajoute aucune réflexion. Chose curieuse, ce genre de suicide, le harakiri, ne semble pas l’avoir plus frappé au Japon qu’il n’y a remarqué le culte shintoïste. Il ne pouvait cependant ignorer que les enfans eux-mêmes en apprenaient le cérémonial, et il devait ranger au nombre des plus grands crimes de l’idolâtrie l’ostentation de ces morts volontaires. A-t-il jugé inopportun d’ébranler l’imagination de ceux qui le liraient par cette fausse grandeur ? A-t-il craint de décourager un peu le dévouement jusqu’au martyre des confesseurs qu’il appelait au Japon ? Dans un pays où les gens se donnent si aisément la mort, elle perd sa valeur de témoignage. Dès qu’ils apprirent le suicide du daïmio vaincu, les vainqueurs députèrent à Yoshishigé des ambassadeurs qui le prièrent d’accepter pour son frère le daïmiate de Yamaguchi. En moins d’un mois, Yoshitaka avait été renversé ; ses vassaux s’étaient mis d’accord sur son successeur ; on avait tout négocié, et déjà le frère de Yoshishigé avait pris possession du daïmiate. Les deux frères s’engagèrent à protéger la religion chrétienne, l’un au Bungo, l’autre à Yamaguchi ; et cette assurance loyalement donnée fut la dernière joie de François dans ce Japon qui lui avait été si doux et si dur. Il en partit vers la mi-novembre 1551. Il n’y avait point accompli ce qu’il avait rêvé. Encore une fois, la réalité l’avait déçu. Cependant il laissait derrière lui une œuvre qui, à elle seule, eût empêché son nom de périr.


XIII. — LE CRÉPUSCULE ET LA MORT

Il a repris la mer et retourne vers Goa. Après une tempête, où la chaloupe rompit ses câbles et, emportée avec quelques hommes de l’équipage, revint miraculeusement au navire, on aborda, dans les premiers jours de décembre, à San Choan. C’était une île presque déserte, à deux lieues environ du continent,