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s’étaient engourdies, et les deux jours de marche jusqu’à la mer lui furent très douloureux. Il débarqua près de Hiji et entra à Funai avec une escorte de Portugais en habits de fête, dont les barques pavoisées, les étendards, la musique et les salves d’artillerie impressionnèrent les Japonais.

Le daïmio de Funai, Yoshishigé le plus puissant prince du Kiushu, lui témoigna une bienveillance d’autant plus remarquable qu’elle ne recouvrait aucun intérêt commercial. Il ne lui déplaisait point assurément que les Portugais vinssent trafiquer chez lui. Mais c’était surtout sa curiosité des questions religieuses qui l’attirait vers le missionnaire. Ce trait de son caractère concorde avec le récit que Mendez Pinto, dans ses Voyages aventureux, nous a donné du séjour de François à Funai. Pinto était là. Il était vraiment là. On sait que Pinto s’est attribué la gloire d’avoir découvert le Japon et que ce n’est pas la seule menterie dont on l’ait convaincu. Son livre peut être rangé au nombre des plus jolies œuvres romanesques et romantiques du XVIe siècle. Mais le terrible Méridional n’a pas tout inventé. Son récit est émaillé de détails précis et justes. Et personne ne nous a mieux dépeint le genre de controverses que François eut à soutenir. Le prince lui avait accordé la liberté de prêcher à travers la ville. D’où grande colère des Bonzes, qui allaient répétant que cet étranger n’était qu’un gueux, un pouilleux si misérable que ses poux ne voulaient plus le mordre, un chien puant, un mangeur de punaises, et pis encore, car, la nuit, il déterrait les cadavres pour les dévorer. Ces gentillesses, dont pouvait s’émouvoir le bas peuple, n’indisposaient point les nobles ni l’entourage du prince. Ils appelèrent alors à la rescousse le supérieur d’un monastère voisin, une des plus fortes têtes du Bouddhisme, et demandèrent qu’une grande disputation eût lieu en présence de Son Altesse. Yoshishigé aimait ces joutes oratoires ; mais il connaissait le Bonze, et la sympathie qu’il ressentait pour François le fit hésiter. L’insistance de François triompha de ses hésitations. Et voici, selon Pinto, comment les choses se passèrent. Le Bonze, après les complimens obligatoires, se tourna tout à coup vers l’apôtre et lui dit : « Me reconnaissez-vous ? » — « Non, » répondit François. — « Comment pouvez-vous dire que vous ne me reconnaissez pas ? s’écria le Bonze en riant. Nous avons acheté une centaine de fois des marchandises ensemble. » — « Vous vous trompez.