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mi-chemin entre Fère et Connantre[1], » d’où un officier d’état-major, le capitaine François, les reportait en couverture à hauteur de Sainte-Sophie, pour permettre le ralliement de la brigade débandée. Fère était évacuée à neuf heures sans avoir eu trop à souffrir de la bataille : les artilleries adverses croisaient leurs feux au-dessus de la ville, qui ne recevait que des obus égarés[2] ; à dix heures et demie du matin, les troupes allemandes y entraient au son des fifres et prenaient possession de la mairie et des différens édifices publics où elles laissaient quelques hommes, tandis que leur gros continuait la poursuite vers Gonnantray, Gorroy et Gourgançon. Le poste de commandement de la 9e armée, établi à Pleurs, reculait du même coup jusqu’à Plancy.

La violence déployée par les fractions de la Garde, du XVIe actif et du XIe de réserve qui nous attaquaient, ne démontait pas autrement l’imperturbable général Foch. « Bah ! disait-il la veille à son état-major, puisque l’ennemi s’évertue à nous enfoncer avec cette furie, c’est qu’ailleurs ses affaires vont mal et qu’il cherche une compensation. » Les graves événemens de la matinée ne le faisaient pas changer d’avis. « Situation excellente, » télégraphiait-il au grand quartier général dans l’après-midi, reprenant l’expression de l’ordre du jour qu’il avait adressé le matin même à ses troupes. M. Babin rapporte que Foch, à l’École de guerre, aimait à citer cette phrase de Joseph de Maistre : « Une bataille perdue est une bataille que l’on a cru perdre. » Foch n’avait pas perdu la bataille, puisqu’il croyait toujours qu’il pouvait la gagner et que, jusqu’à la fin de la journée, il harcelait l’ennemi par ses contre-offensives. Chacun de nos généraux d’armée contribua, par une vertu particulière, à la victoire de la Marne : la contribution personnelle de Foch, sa grande vertu fut sa ténacité. À une heure de l’après-midi, il lançait en formation massive sa 52e division de réserve sur Fère-Champenoise, et, à sept heures du soir, encore, il reprenait l’attaque des hauts de la gare, que notre artillerie battait énergiquement. Mais un cordon de mitrailleuses barrait la route de Bannes : nos troupes ne purent

  1. Lettre du sous-lieut. M… {Courrier de Sézanne).
  2. Quelques-uns seulement tombèrent autour de l’église, sur des maisons de la rue du Pont et du faubourg de Connantre, mais l’usine électrique fut seule sérieusement endommagée.