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rougissaient pas plus que nous de tant devoir aux Anciens. François se demandait s’il n’eût pas été plus sage de se rendre d’abord en Chine, car, une fois la Chine chrétienne, le Japon l’aurait suivie. Et, selon son habitude, avec tout ce qu’on lui en disait il se faisait un mirage. Dix-huit mois plus tôt, il écrivait : « Les Japonais sont le meilleur des peuples découverts jusqu’à présent parmi les Infidèles, et il me semble qu’il ne s’en trouvera pas d’autre qui l’emporte sur eux. » Il a changé de sentiment : l’intelligence des Chinois lui paraît plus étendue et plus vive ; et ils ont le bonheur d’être gouvernés par un souverain dont ils respectent le pouvoir absolu... En deux ans d’efforts incessans, dans une nation qui l’a extraordinairement séduit, et où il a extraordinairement souffert, il n’a pas converti plus d’un millier de païens ; ses cheveux en ont blanchi ; et il se propose d’aller convertir des millions de Chinois aussi simplement que s’il s’agissait d’une bourgade de Paravers.

Il avait appelé à Yamaguchi Cosme de Torrès et méditait sur cette nouvelle aventure, quand il apprit qu’un bateau portugais venait d’entrer au port de Higi, près de Funai, capitale du Bungo. Il dépêcha immédiatement un Japonais qui lui rapporta des lettres d’Europe, des lettres de Goa et une lettre du Daïmio de Funai. Les premières l’informèrent qu’Ignace avait achevé de rédiger les Constitutions de la Compagnie ; et que, les Indes ayant été constituées en Province, il l’en avait nommé le Provincial. Désormais, il nommera lui-même les Supérieurs de Goa, décidera de l’admission ou du renvoi des membres de la Compagnie et, pendant ses longs voyages, déléguera ses pleins pouvoirs à celui des Pères qu’il aura choisi. Sa situation ainsi régularisée allait lui permettre de trancher les difficultés créées à Goa par Antonio Gomez. Et, précisément, les lettres de Goa l’avertissaient qu’elles avaient empiré. Enfin, la lettre du daïmio l’invitait à séjourner dans sa ville.

François hâta son départ. Il recommanda à Dieu et à leurs deux bons gardiens, Juan Fernandez et Cosme de Torrès, sa petite chrétienté en pleurs. Il ne voulut point qu’on lui fit cortège, et sortit de Yamaguchi accompagné seulement de deux samuraï qui s’étaient appauvris pour le suivre jusqu’aux Indes. Il s’éloignait à pied comme il était venu et portait sur son dos bien empaquetés, si le paquet avait été fait par des mains japonaises, son calice et ses ornemens sacerdotaux. Mais ses jambes