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les ignorans que l’avantage de savoir jusqu’à quel point la raison en était confondue. Et, en dehors de ces ténèbres sacrées, tout était clair, harmonieux, d’un enchaînement logique, d’une portée universelle. L’Eglise catholique ouvrait son sanctuaire à deux battans. Un enfant pouvait comprendre ses évangiles. Sa parole, comme le pain et le riz, convenait à tous. Sa morale se répandait de ses dogmes aussi naturellement que la fraîcheur se répand des eaux vives. L’apôtre dénonça donc sans trêve les impostures des Bonzes. Ce fut la guerre. On dit qu’ils essayèrent de soudoyer des assassins. Mais les Chrétiens, dont le nombre augmentait, faisaient bonne garde autour du Père.

Cette petite chrétienté fut vraiment « les délices de son âme. » Il connut par ses catéchumènes tout ce que le Japon réserve de prévenances et d’affectueuse délicatesse à l’hôte qu’il honore et qui a gagné son cœur. L’aube du Christianisme sur la terre japonaise nous reporte aux plus belles heures de la première Eglise. A des milliers de lieues d’Antioche et de Rome, et après seize cents ans, voici les mêmes conciliabules. Gentilshommes, étudians, boutiquiers, domestiques, — il n’y a pas d’esclaves, — écoutent la même voix qui sort de la nuit des temps. Mais quel décor ! Une pièce nue ; des nattes fines ; des cloisons de papier ; une petite table haute comme un tabouret, et, près d’un crucifix, un vase charmant d’où s’élance une branche fleurie. Ils sont tous agenouillés et assis sur leurs talons, même quand ils ne prient pas. De beaux sabres étincellent dans un bruissement de soie. Une politesse, qui a son origine dans la vieille idée bouddhique du renoncement à la personnalité, une politesse où l’homme s’efface comme l’artiste derrière son œuvre, accueille la venue du Sauveur. François parle : il a encore beaucoup de peine à s’exprimer. Mais on le comprend ; on n’est point impatient ; on se sent réchauffé par sa présence.

Et cependant il n’appartient déjà plus tout entier à cette délicieuse chrétienté. De ce petit cercle aux lueurs d’aurore, il songe aux vastes peuples assis dans l’ombre de la mort. Souvent, très souvent, les Japonais lui ont objecté que, si le christianisme était vrai, les Chinois l’auraient su et le leur auraient transmis. Ils n’imaginaient pas qu’il pût exister au monde une vérité que les Chinois eussent ignorée. ils leur devaient tout, leur écriture, leurs arts, leur philosophie, leurs pagodes, et ils n’en