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On lui raconta l’histoire de Çakia Muni et d’Amida qu’il prit pour deux personnages distincts. Il parait qu’ils étaient nés huit mille fois. Les bras lui en tombèrent. Il ne se fût jamais attendu à de telles billevesées de la part du diable : « Que ceux qui liront ma lettre nous obtiennent, je les en prie, de Jésus Notre-Seigneur victoire contre les deux démons Xaca et Amida : j’attends cela de leur zèle pour l’amour de Dieu. » Cette question réglée, il s’enquit du nombre des sectes. Elles étaient neuf, dont les premiers chefs, qui procédaient d’Amida et de Xaca, avaient tous passé deux ou trois mille ans à faire pénitence dans des lieux déserts. Sauf une qui niait l’immortalité de l’âme, les autres enseignaient qu’il y avait un lieu de récompense pour les bons et de châtiment pour les mauvais : seulement elles ne disaient rien de la création du monde.

François n’eut ainsi que des lueurs sur le bouddhisme populaire, qui lui produisit l’effet d’un chaos de ténèbres diaboliques. Mais ce qu’il vit très bien, ce fut l’exploitation de la crédulité d’un peuple par un clergé de charlatans. Si la morale qu’ils prêchaient était pure, les supercheries, dont ils s’étaient fait une méthode et des revenus, la viciaient en eux. Ils enseignaient une sincérité dont ils s’étaient affranchis. Ils ne trompaient pas les hommes en leur recommandant d’être chastes, de ne point voler, de ne point tuer, de ne point s’enivrer, de ne pas commettre d’adultère ; mais ils les trompaient en leur faisant croire que ces vertus leur étaient ordonnées par des dieux qui n’existaient pas et dont ils se servaient au gré de leur ambition et de leur cupidité. A côté de quelques mystiques bouddhistes pénétrés du sentiment de notre commune misère, et dont les vertus réelles donnaient une sorte de réalité à leurs divinités symboliques, à côté d’humbles moines fermés à toute métaphysique et sincèrement convaincus, l’élite intellectuelle des monastères se mouvait dans la fraude et vivait de la fraude. Ils étaient les premières victimes de l’immoralité sociale d’une doctrine qui anéantit la conscience individuelle.

Bien que nous ne puissions les juger avec nos principes chrétiens, nous comprenons l’indignation de François. Sa religion, à lui, n’avait rien d’ésotérique. Les mystères en étaient aussi bien des mystères pour les enfans que pour les nonces du Pape et le Pape lui-même. Les ignorans s’arrêtaient au bord ; les théologiens s’y enfonçaient ; mais ils n’avaient sur