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que celui de cette nation qui, pour demeurer ce qu’elle est et pour se montrer capable d’un des renouveaux les plus étonnans de l’histoire, a dû, pendant des siècles, réagir contre une religion devenue nationale, dont l’influence énervait sa classe soi-disant dirigeante et plongeait dans la torpeur sa classe populaire ! Empereurs, Shoguns, grands daïmio, tout ce qui parait gouverner s’alanguit très vite. Les têtes sur qui repose le soin de l’Empire se penchent, non sous le poids des responsabilités, mais sous l’action des stupéfians bouddhiques. Le peuple, lui, se soumet paisiblement à des milliers de superstitions que le Bouddhisme lui a forgées et qui, à considérer sa moralité, ne lui sont point funestes, mais qui frappent son intelligence de stérilité. L’entre-deux est occupé par une noblesse ou une bourgeoisie armée dont le code moral est avant tout confucéen, qui ne prend dans le bouddhisme que de quoi orner sa vie simple et donner à son austérité des raffinemens artistiques et qui maintient obstinément, en face d’une religion où l’univers et les âmes se résolvent en une vapeur d’illusions, son énergie intacte, sa passion de la gloire, son amour des réalités, et, comme la soie brillante dont elle double ses vêtemens sombres, sous des dehors assourdis le culte éclatant de son moi. Le Christianisme s’opposait moins à la nature japonaise que le Bouddhisme.

François en eut conscience, et, pour la première fois aussi, il sentit la nécessité d’étudier la religion des gens qu’il venait convertir. Ses moyens d’investigation étaient d’une insuffisance lamentable. Il lui était impossible de déchiffrer les livres chinois, et personne ne pouvait les lui traduire. Il était réduit aux explications laborieuses d’hommes qui noient souvent l’essentiel dans les détails et les digressions. Il n’entrevit même pas l’idée fondamentale du Bouddhisme. N’importe ! Il indiquait le chemin à suivre. D’abord il rechercha longuement si les Japonais avaient eu connaissance de Jésus-Christ. A Kagoshima, il avait remarqué une croix blanche dans les armes des Shimadzu. Elle n’y figurait que l’anneau d’un mors ; mais elle resta pour lui toujours mystérieuse. Hormis cet emblème, il se persuada que la nation japonaise n’avait jamais entendu parler du Sauveur ; et, ce qui est un mérite, il ne se laissa pas circonvenir par des analogies superficielles, comme celle de la Trinité bouddhique dont les bonzes de la secte de Shingon, une des plus abstruses, essayèrent de l’éblouir. Puis il voulut savoir quels étaient les fondateurs de cette religion.