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songer d’abord à imposer aux païens le respect extérieur de la religion dont il est le messager royal. Pourquoi n’a-t-il pas même usé des lettres où le gouverneur de l’Inde l’accréditait et offrait au roi du Japon l’amitié du roi de Portugal ? Pourquoi les a-t-il laissées à Hirado avec les présens qu’il était chargé de déposer aux pieds de Sa Majesté japonaise ? « Il n’avait pas jugé à propos d’employer ces moyens humains, » répond un de ses contemporains. On appellera cette témérité de la confiance en Dieu, et Dieu seul peut savoir ce qui s’y mêle de subtile et imperceptible confiance en soi. Que François remporte la victoire, il en fera remonter tout l’honneur à Dieu. Il ne répudie les secours qui lui viennent des hommes qu’afin d’augmenter son tribut de gratitude et de s’humilier davantage en se mesurant à son triomphe. Mais n’est-ce pas attacher trop d’importance à ces secours que de craindre qu’ils amoindrissent la gloire de l’action providentielle ? Dieu n’a besoin ni des présens ni des lettres d’un gouverneur pour se manifester. Seulement, à moins de spéculer sur une série de miracles qui bouleverseraient les institutions et la nature d’un peuple, l’homme en a besoin pour se mettre en mesure de prouver qu’il agit conformément aux desseins de Dieu. S’il les repousse, il s’exagère ses propres forces et il méconnaît ses adversaires. François avait commis ces deux erreurs.

Onze jours s’étaient à peine passés qu’il renonça à se faire entendre de cette ville sourde. Les voyageurs prirent une jonque qui descendait le Kamogawa jusqu’à Sakai, et de là ils s’embarquèrent à destination de Hirado. Le retour fut encore très pénible, parce qu’ils couchaient sur le pont, mais plus rapide et moins dangereux. L’apôtre rentra à Hirado, dans un tout autre état d’esprit qu’il en était parti. Un des interlocuteurs du Dialogue d’Auger exprime d’une manière pittoresque le revirement qui s’était opéré en lui, lorsqu’il eut bien constaté que son humilité discréditait sa doctrine : « Il se mit à changer de note. Qui se fait brebis, le loup le mange. Saint Paul est parfois monté sur ses grands chevaux et a mis la peur au cœur de ses ennemis en leur jetant sur leur visage, tout à travers, comme une barrière, ses privilèges et le rang de sa noblesse. » Ce qu’il avait vu de Kioto l’avait persuadé que le roi du Japon n’avait pas le quart de la puissance du roi de Yamaguchi. C’était ce dernier dont il fallait conquérir les bonnes