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cendres. Il y avait bien un autre palais qui n’était pas le spectacle le moins extraordinaire de cette capitale : une grande masure au toit lourd, entourée de petites masures, dans un vaste enclos dont les murs de terre étaient recouverts d’auvens de bois. Là vivait, au milieu d’un peuple de serviteurs et de chambellans affamés, le descendant de la déesse Soleil, un pauvre être qu’on portait d’une pièce à l’autre comme un paralytique, car ses pieds célestes n’avaient pas le droit de toucher le sol, et qui serait mort d’inanition si de fidèles daïmio ne lui avaient alloué quelques secours. L’histoire l’appelle Go Nara. Faute d’argent, on n’avait pas plus célébré son avènement qu’il ne pouvait compter qu’on célébrerait ses funérailles. Il essayait d’en gagner en vendant des titres de noblesse ; mais, dans ces temps d’émeutes et de révolutions, les affaires n’allaient pas. Ses Kugé le quittaient l’un après l’autre avec des figures de carême. Les dames de la cour, aux longs cheveux et aux longues robes de brocart, se glissaient derrière les brèches des murs, et hélaient le marchand de patates, seule friandise que l’état de leur bourse leur permît de s’offrir. François et Fernandez erraient autour de cette enceinte, où les voleurs entraient comme chez eux. Mais, quand ils demandaient humblement la faveur d’y pénétrer, on leur répondait : « Quels présens apportez-vous ? » Ou, le plus souvent, on les toisait et on détournait la tête. Ils recommencèrent alors leurs lectures dans les carrefours. Ils n’obtinrent même pas un succès de curiosité.

Jamais encore l’apôtre n’avait subi un pareil échec, et, pourquoi ne pas le dire, une pareille leçon. Le Japon ne le prenait pas en traître. Il avait eu le temps de l’étudier. A Hirado, à Kagoshima, on le fête ou on le supporte, parce qu’on le croit un personnage. Au contraire, à Yamaguchi, où l’on ne se soucie ni des Portugais ni de leurs cargaisons, la populace l’insulte et les nobles le méprisent. Et c’est dans ces conditions qu’il entreprend d’aller voir l’Empereur. Il s’imagine que la pratique des plus rudes vertus, l’humilité, la pauvreté, les souffrances volontaires, l’acceptation des outrages, suffiront à gagner des âmes. Mais elles n’auraient eu de sens que pour des âmes chrétiennes. Il oublie qu’il ne lui est guère plus permis de s’abandonner à sa passion de la pauvreté et de l’humilité qu’à un ambassadeur de vivre comme un simple particulier et de fuir les réceptions. Il ne songe qu’à édifier, quand il devrait