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toutes les villes japonaises sous l’averse, l’aspect piteux d’une immense basse-cour, dans un terrain défoncé, avec, çà et là, des toits bizarres de volières. On les reçut en parias. Ils eurent beaucoup de mal à trouver le logis du destinataire de leur lettre, qui, heureusement, se montra honnête homme et les hospitalisa, mais avec le désir de les expédier au plus vite. Il connaissait justement les domestiques d’un seigneur qui se rendait à Kioto, et il obtint par eux que les étrangers fussent admis dans sa suite. Le seigneur voyageait en palanquin et ses principaux gentilshommes à cheval. Derrière eux, les domestiques marchaient d’un pas accéléré et prenaient souvent le pas gymnastique. François, Fernandez et Bernard les imitèrent. Jamais l’apôtre n’avait été plus gai. Il jouait avec un fruit, le lançait et le rattrapait comme autrefois sa pelote basque. Ce fut en courant ainsi parmi les valets, derrière la litière d’un seigneur japonais, que le Père maître François de Xavier, nonce apostolique, les joues arrosées de larmes joyeuses, fit son entrée dans la ville impériale.

Ce qu’était la ville impériale ? Un Yamaguchi trois et quatre fois plus vaste, mais dévasté. D’interminables ruelles où s’écoulait la foule ; des terrains noirs que semblait avoir défriché l’incendie ; des quartiers de débauche entre des quartiers en ruines ; des palais mis au pillage, et, sur les collines boisées, dans des monastères retranchés comme des forteresses, l’éternelle sonnerie des cloches entrecoupée par des bruits d’armes. Trois mille bonzes campaient sur le mont Hieizan. Les insurrections politiques se compliquaient de guerres religieuses. François put voir les derniers tisons du grand temple de Hong-wanji, que la secte de Nichiren venait de brûler avec toutes les maisons du voisinage.

Son hôte de Sakai ou un des samuraï de la troupe l’avait adressé à un ami. Cet ami n’eut rien de plus pressé que de les envoyer tous trois chez son gendre, qui habitait une campagne aussi éloignée de Kioto que le port de Sakai. Un jeune domestique les y conduisit, et ce furent encore des lieues et des lieues et des injures et des coups de pierre. Pourquoi François accepta-t-il ? Que lui avait-on fait espérer ou craindre ? Le gendre ne retint pas longtemps ces étrangers indésirables, et ils revinrent à Kioto, butés à l’idée de voir le Roi. Mais quel Roi ? Le Shogun Yoshiteru avait dû fuir, et son palais était en