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toute équivoque bouddhique, prêtait malheureusement au calembour. Deos, deous, devenait Dai uso qui signifie grand mensonge. Les enfans couraient après eux et criaient : « Grand mensonge ! grand mensonge ! » Quand ils parlaient d’aimer Dieu, comme le verbe aimer n’a en japonais qu’un sens charnel, on devine les fusées de brocards. Les samuraï ne se mêlaient point au peuple. Mais ils envoyaient chercher les deux amuseurs, histoire de tuer le temps. Leurs misérables hardes leur inspiraient parfois de la compassion. Avoir fait de si longs voyages et être si mal en point ! Fallait-il qu’ils fussent bas dans leur pays ! Ils les contemplaient comme deux épaves qu’on ne sait comment utiliser. Les plus fiers se moquaient d’eux. François avait supporté bien des humiliations ; mais de la part de ces gentilshommes qu’il sentait ses pairs, les insultes lui furent intolérables. Il regimba. Son visage s’empourprait. « Répondez-leur sur le même ton qu’ils me parlent ; ils me traitent comme un inférieur méprisable : traitez-les ainsi ; » disait-il à Fernandez. Et Fernandez tremblait : « Chaque fois que j’obéissais au Père, avouait-il, je m’attendais à recevoir le coup de sabre qui me détacherait la tête. » Mais il n’était pas assez familier avec les nuances de la langue japonaise pour employer les mêmes formes injurieuses que leurs insulteurs ; et l’eût-il fait qu’ils les auraient mises sur le compte de son ignorance. Cependant les regards de François et son attitude les gênaient un peu. Ainsi son ancienne hidalguia se ranima et jeta quelques éclairs dans cette atmosphère féodale.

Il n’arrivait à rien. Il avait déjà passé deux mois à Yamaguchi absolument stériles. Il partit pour Kioto. Tout aurait dû le détourner de cette aventure. Si l’on savait dans quel état se trouvait Kioto, c’était bien à Yamaguchi où l’anarchie de la capitale et le dénuement des souverains avaient exilé une foule de seigneurs et d’hommes d’armes. Mais ses légers accès de fierté nobiliaire avaient réveillé son esprit romanesque ; et il se lança dans un voyage près duquel ses marches les plus dures dans l’Inde ou aux Moluques n’avaient été que des promenades d’agrément.

Toujours accompagné de Fernandez et de Bernard, qui portait suspendue à sa ceinture leur provision de riz grillé, il choisit la route de terre la plus longue, afin de visiter les villes et d’y semer l’Evangile. Il sema sur la glace. On était