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du jardin, dans des salles également ouvertes et, en face, du haut des balcons, de nombreux courtisans, en larges vêtemens de soie diaprée et coiffés de hauts bonnets noirs, assistaient à l’entretien. Le prince les questionna d’abord sur leur voyage ; puis il exprima le désir de savoir quelle était leur doctrine. « Lisez ! » dit François à Fernandez. Et le Frère lut le récit de la Création et les Commandemens de Dieu. Il espérait que, pour la première fois, on n’irait pas plus avant ; car il arrivait au passage où François flétrissait les erreurs des Japonais et notamment leurs abominations sodomiques ; et nul n’ignorait que Yoshitaka y était fort enclin. Mais François ne lui fit pas signe de s’arrêter, et le Frère sentit sa tête moins solide sur ses épaules. Yoshitaka entendit donc que ceux qui commettent de pareilles aberrations sont plus sales que des porcs et au-dessous des chiens et des autres animaux. Il ne broncha point ; et les sabres du palais restèrent bien tranquilles dans leurs fourreaux. Il était trop Japonais pour céder à un mouvement de colère ; mais, comme il ne témoigna par la suite aucun ressentiment, nous pensons qu’il ne crut pas ces nouveaux venus au courant de ses habitudes ou que ses tristes expériences lui permirent d’apprécier encore mieux l’excellence de leur morale. Cependant leur introducteur comprit qu’il était temps de lever la séance. La lecture avait duré une heure. François et Fernandez se prosternèrent et se retirèrent à reculons devant le prince impassible et muet. Dehors, Fernandez éprouva un grand soulagement.

Le lendemain, François, considérant que le silence du prince équivalait à une approbation, commença ses prédications publiques. Il se plantait au croisement des chemins ou aux endroits les plus populeux. Fernandez tirait son livre et lisait ce qu’il avait lu au daïmio, pendant que François en prière suppliait Dieu de bénir ses paroles et ses auditeurs. Les passans se rassemblaient. La plupart éclataient de rire et hachaient la lecture de lazzi incompréhensibles pour les pauvres étrangers dont la figure, le nez droit et long, les yeux qui ne se relevaient point vers les tempes, et les gestes de chauves-souris leur produisaient un effet irrésistiblement comique. D’autres s’éloignaient irrités qu’on pût ainsi vilipender les dieux du Japon. Le mot Deos qui revenait à chaque instant sur leurs lèvres, tant ils étaient soucieux d’éviter