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après Kioto, la ville la plus opulente du Japon ; et son daïmio, Ouchi Yoshitaka, semblait un des plus puissans seigneurs. Qui la voit aujourd’hui entourée de ses collines, où s’étageaient jadis les temples et les bonzeries, croit voir un Kioto plus petit dépouillé de ses parures. Mais elle a conservé son air noble. La population y aime le plaisir ; et le sang court plus légèrement dans ses veines que dans celles des Satsuma. Lorsque les missionnaires y pénétrèrent, la société la plus brillante du Japon s’y était réfugiée. Les courtisans issus de famille impériale, les Kugé, avec leurs grands sourcils et leur légère couche de fard, y avaient mis à la mode les divertissemens de la cour, car ils avaient déserté Kioto et leur Empereur désargenté. Les bonzes étalaient une somptuosité seigneuriale. Le commerce de la Chine et de la Corée faisait affluer l’or. François fut surpris du luxe des vêtemens et de la beauté des armes.

Les deux Européens, harassés, entrèrent dans des rues étroites, où se pressait une foule compacte, mais peu bruyante, qui s’écartait respectueusement devant les hommes d’armes et qui, aux cris des estafiers d’un grand seigneur, s’agenouillait et se prosternait. A leur vue, les gens s’arrêtaient, puis les suivaient ; les enfans s’attachaient à leurs pas, leur montaient sur les talons, marchaient de biais ou à reculons pour les regarder sous le nez, de sorte que nos voyageurs avaient l’air d’entraîner avec eux toute la rue. Ils atteignirent l’auberge, dont les fenêtres, les balcons, le vestibule se remplirent instantanément de figures stupéfaites ou riantes. Plusieurs aubergistes refusèrent de loger ces mendians.

François avait une recommandation pour un des principaux seigneurs de la cour, et Fernandez nous dit qu’aussitôt installé il le pria de lui obtenir une audience du Roi, « afin qu’ayant été bien informé de la loi qu’on venait prêcher il en autorisât l’observation dans son royaume. » Yoshitaka était un homme intelligent, assez efféminé bien qu’il eût peu de goût pour les femmes, indifférent aux croyances religieuses et détaché des soucis du pouvoir. Le gentilhomme, qui lui présenta la requête des missionnaires, lui dit qu’ils venaient du même pays que les dieux du Japon. Cette raison le décida à les recevoir. Il le fit sans apparat, dans une pièce ouverte comme un décor de théâtre, qui donnait sur une galerie et sur un jardin. Il n’avait près de lui qu’un bonze. Mais des deux côtés