Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais on sait qu’il y mourut. Les âmes, qui s’étaient groupées autour de l’apôtre et qui avaient vu dans ses yeux un nouveau ciel s’ouvrir, ne retrouvèrent plus jamais leurs émotions et leur espérance. Le même brouillard, qui dissout au fond de notre mémoire la figure des êtres les plus aimés, recouvrit peu à peu les vérités qu’elles avaient aperçues. Les unes retournèrent à leurs anciennes pratiques, comme on revient à sa besogne familière au sortir d’un long rêve. Les autres travaillèrent silencieusement sur les notions chrétiennes ou plutôt les enveloppèrent d’un tissu de songes où, dix ans plus tard, des missionnaires de passage en distinguèrent encore les traits pâlis.

Avant de quitter la province de Satsuma, François et ses compagnons s’arrêtèrent, à six ou sept lieues de Kagoshima, dans le château fort d’un des vassaux et parens de Shimadzu, Niiro Isé-no-Kami. Ce seigneur, le type même de l’honneur et du stoïcisme japonais, leur offrit l’hospitalité sur le conseil d’un de ses samuraï qui s’était fait baptiser. C’était peut-être la première fois que François était admis dans l’intimité cérémonieuse d’un homme de ce rang. Tout devait le ravir : l’austérité de la vie, la politesse silencieuse des domestiques, les douces manières des hommes d’armes, ces repas où la façon de servir vaut mieux que ce qu’on sert et dont les soins exquis envers l’hôte relèvent la frugalité, la modestie de l’épouse qui n’est que la première servante de son mari et de ses invités, le respect des enfans qui savent de naissance ce qu’ils doivent faire et qu’on ne remarque qu’à leur souci plus élégant de passer inaperçus. Niiro désira entendre des lèvres de François l’exposé de sa doctrine. La pureté de la morale chrétienne contenta si pleinement sa raison qu’il engagea sur-le-champ sa femme et son fils aîné à recevoir le baptême. Il l’aurait reçu lui-même si son loyalisme ne lui avait commandé de ne point déplaire à son suzerain. François laissa à ces chrétiens des prières écrites de sa main, qu’ils enfermèrent précieusement dans des sachets de soie, et, pour la santé de leur corps, une discipline. Dix ans après, Louis d’Almeida les retrouva toujours fidèles, protégés par leur solitude contre toute défaillance. La dame, ses fils, — car, depuis, Niiro avait fait baptiser ses deux autres enfans, — plusieurs samuraï s’enquirent de tout ce qui était arrivé au Père. Ils lui montrèrent leurs sachets, qui avaient guéri, disaient-ils, bien des malades, et la