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l’acquisition d’un terrain où bâtir une chapelle. Shimadzu ne dit rien ; et sa protection continua de s’étendre, en apparence, sur la petite mission chrétienne où François avait repris sa place. Mais, au mois d’août suivant, un autre bateau portugais fut signalé à Hirado ; et Shimadzu se crut berné, puisque, malgré sa bienveillance à l’égard des prêtres étrangers, leurs compatriotes allaient négocier ailleurs.

Entre temps, les Bonzes s’étaient agités. Les missionnaires commençaient à pouvoir prêcher en public. Leurs accusations se faisaient chaque jour plus précises et, sans doute, plus virulentes. Les Bonzes, si une secte indépendante, sortie du Bouddhisme, avait entrepris de ruiner leur crédit, n’auraient peut-être pas attendu aussi longtemps pour lui déclarer la guerre. Au réquisitoire dressé par François contre leur immoralité, ils ripostèrent par des accusations de sorcellerie et même de cannibalisme. On jeta à la porte des étrangers des linges ensanglantés ; et l’on ameuta le bas peuple qui crut que ces ogres se repaissaient la nuit de chair humaine. Un geste de Shimadzu eût fait taire ces criailleries. Il ne laissa les choses aller que jusqu’où il le voulait bien. Elles n’allèrent pas très loin ; mais elles lui fournirent un prétexte pour interdire une propagande qu’il eût favorisée si les bateaux portugais avaient débarqué leur poivre sur le quai de Kagoshima, et qu’il favorisa plus tard. Il défendit à ses sujets la doctrine étrangère sous peine de mort. Du reste, il n’exigea aucune rétractation de ceux qui étaient déjà chrétiens ; il ne les persécuta pas, et il ne parla point d’expulser les missionnaires. L’été était revenu ; on touchait à l’automne. François s’éternisait sans profit dans cet endroit perdu. Il demanda son congé au prince qui s’empressa de lui trouver une jonque. « Au bout d’un an, écrit-il simplement, voyant que le seigneur de ce pays n’était pas content des progrès que faisait la loi de Dieu, nous nous sommes en allés. » En réalité, la loi de Dieu avait fait très peu de progrès.

François choisit comme interprètes deux Japonais convertis, dont l’un Bernard le suivra jusqu’à Goa et finira ses jours en Europe. Yagirô demeurait chargé des intérêts spirituels de la petite chrétienté. La période glorieuse de sa vie était passée. François emportait tout son prestige. Il avait été un instant aux regards de ses concitoyens un homme rare : il ne fut plus qu’un déclassé. On ignore comment il tomba dans le métier de pirate ;