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qui le sait et à qui le port est ouvert, s’en approcher est le meilleur : moi, j’ignore où et comment j’aborderai. » François lui nommait et lui décrivait le port ; et les yeux si calmement désespérés du vieillard essayaient de se fixer sur ces lumières qui lui apparaissaient le long du sombre rivage. « Je voudrais mourir baptisé, disait-il plus tard à Louis d’Almeida ; mais la place que j’occupe, ma dignité, la vénération que l’on a pour moi, m’en empêchent. »

En dépit de ces témoignages d’intérêt, et malgré la liberté de prêcher dont François jouissait, la réalité ne répondait guère à ses espérances. Où étaient ces populations qui, en six mois, devaient se faire chrétiennes ? Il restera un an à Kagoshima et ne convertira pas plus de cent personnes. Et pourtant il ne se plaint pas ; il est heureux ; il est gai. Ses lettres en Europe, à Goa, à Malaca, nous le montrent rajeuni, plus allègre que jamais, en pleine possession de sa fine bonne humeur. Mais c’est son opinion sur les Japonais qui en fait le grand intérêt. L’ancien gentilhomme basque est ravi de leur sens de l’honneur : « Ce sont gens qui ne supportent pas une injure ni une parole de mépris. » Les nobles servent leur prince non par crainte, mais parce que l’honneur les y oblige. L’honneur a plus de prix pour eux que la richesse. « J’ai vu chez eux une chose qu’on ne rencontre nulle part chez les Chrétiens : les gentilshommes, si riches qu’ils soient, honorent tout autant le gentilhomme pauvre que s’il était aussi riche qu’eux. » Songez aux souvenirs d’enfance de François, aux insolences et aux affronts qu’avaient essuyés ses parens appauvris ! Le jeu qui exerçait des ravages en Europe était sévèrement défendu dans les hautes classes, où l’on estimait qu’il ne différait guère du vol ; et le vol était puni de mort. « De tous les peuples que j’ai vus en ma vie, chrétiens ou infidèles, je n’en ai pas connu qui fût aussi irréprochable dans cette matière. » Et, si le gentilhomme admirait ces belles vertus chevaleresques, l’homme d’Université ne goûtait pas moins le développement vraiment extraordinaire de l’instruction dans la société japonaise : « Une grande partie du peuple sait lire et écrire. » Sur ce point encore les Japonais l’emportaient sur les Occidentaux, et peut-être aussi par leur désir d’apprendre et leur plaisir d’entendre des choses conformes à la raison. « Quand le raisonnement leur a démontré que ce qu’ils font est mal fait, ils approuvent