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l’amour pour une femme, fût-il légitime, semble entacher l’honneur de l’homme, avait envahi les bonzeries ; et François s’étonnait du peu d’horreur que les hommes et les femmes en concevaient. C’est le seul qu’il reproche aux bonzes ; et il aurait pu le reprocher également aux samuraï. Seulement, chez les bonzes, il avait un plus brillant cortège : la cupidité, compagne obligée de la luxure ; et l’hypocrisie, car, si l’opinion publique en riait, les plus habiles tâchaient cependant de le dissimuler et continuaient d’enseigner le mépris des biens terrestres et des appétits charnels. Mais la corruption n’était pas aussi universelle que l’affirment les premiers missionnaires. Sauf dans les monastères guerriers, où François ne pénétra point, le désintéressement, la chasteté, la sagesse, une bonté qui n’était point la charité chrétienne, mais qui compatissait à la misère, n’avaient rien d’exceptionnel sous la robe du moine et de l’ascète bouddhiste. Enfin, les bonzes n’avaient point l’arrogance des Brahmes. Ils étaient d’humeur à bien accueillir ces hôtes venus de si loin pour parler des choses divines et surtout venus des pays du Bouddha. Mais François ignorait que la religion japonaise avait son origine dans l’Inde. « Tous, disait-il, laïques et bonzes, se plaisent à traiter avec nous. »

Ils en rabattirent. Ses manières durent leur causer d’abord une surprise qui ne fut pas toujours en sa faveur. Dans des notes du Frère Juan Fernandez, on lit qu’il allait, sans y être invité, aux monastères des Bonzes, les conviant à lui poser des questions ou leur en posant lui-même. « Il entrait et sortait comme il l’eût fait chez lui. » Que les Japonais en usent indiscrètement avec les étrangers, on s’en est souvent plaint. Ils seraient capables de les réveiller la nuit pour les interroger. Mais ils ne leur concèdent point les mêmes privilèges. En tout cas, leur indiscrétion s’accompagne d’un protocole qui la légitime à leurs yeux : salutations multipliées, litanies d’excuses, aveux d’une faiblesse d’esprit dont ils espèrent qu’on voudra bien leur tenir compte, très humble désir d’entendre tomber d’une bouche si honorable des paroles infiniment précieuses. François ne pouvait avoir recours à ces formules conventionnelles, mais indispensables, et sa liberté d’allures, que Fernandez admirait, nuisait à sa propagande. Dans l’oisiveté de leur existence, ses visites ne leur furent qu’un divertissement jusqu’au jour où des allusions à leurs vices les avertirent du danger.