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l’écoutait, c’est-à-dire qu’on le regardait en écoutant Yagirô. On hochait la tête ; on prenait un air recueilli. Mais que l’expression méditative des visages et que les bras pensivement croisés dans leurs amples manches étaient souvent trompeurs ! S’il y en avait bien quelques-uns qui mordaient à l’appât de la nouveauté et dont la raison droite et pure ressentait, à l’entendre, une satisfaction imprévue, la plupart ne songeaient qu’à observer le bonze occidental. D’autres étaient uniquement préoccupés de contenter la petite curiosité qui les avait amenés, et, par exemple, dans les pays d’où venaient ces hommes singuliers, mangeait-on du riz et buvait-on du saké ?

François ne restait pas confiné dans sa maison japonaise : il allait chez les Bonzes. La province de Satsuma est une de celles où le bouddhisme a le moins façonné les âmes, et bien que les bonzes y fussent encore trop nombreux, elle n’eut point à souffrir, comme les provinces centrales, de leurs agitations belliqueuses. Les Shimadzu entretenaient une assez grande bonzerie de la secte de Zen. Cette secte, qui est toujours en honneur parmi les hautes classes japonaises, pratique la méditation et y dresse ses adeptes non seulement par la tension de l’esprit, mais aussi par des attitudes pénibles imposées au corps. On dit à François que l’éternel sujet où ils attachaient leur pensée était « qu’il n’y a rien ; » et il s’imagina que ces bonzes méditaient ainsi pour étouffer les remords de leur conscience. La vie qu’ils menaient ou qu’on les accusait de mener aurait peut-être justifié des remords. Mais, sur ce point, il convient d’être plus prudent et plus juste que la plupart des biographes de l’apôtre. Accordons-leur d’abord ce que François ne leur déniait point : « L’estime où on les tient, écrivait-il, me paraît venir de leur grande abstinence. Ils ne mangent ni viande ni poisson, rien que des herbes, des fruits et du riz, cela une fois par jour, et d’une façon très réglée ; et on ne leur donne pas de vin. Comme ils sont fort nombreux, leurs maisons sont pauvrement rentées. Cette continuelle abstinence et le fait qu’ils n’ont aucun commerce avec les femmes sous peine de perdre la vie, m’expliquent la vénération qu’ils inspirent. « Ce qu’il dit de leur sobriété, de leur pauvreté et du châtiment qui eût puni cette sorte de dévergondage était exact dans une province frugale, peu aumônière, et qui méprisait la femme. Mais le vice que l’on rencontre surtout dans les sociétés guerrières, et partout où