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donc tout d’abord à l’apôtre par son côté le plus rude et par ses vertus les plus abruptes. Mais telle est la politesse de cette nation qu’il fut moins frappé de sa rudesse que de sa douceur.

On pense bien qu’il ne s’est pas amusé à nous décrire les petites bizarreries des coutumes japonaises. Ce n’est point sa manière. Il s’étonna seulement de la pauvreté des maisons et de la frugalité des habitans ; et il remercia Dieu de les avoir menés, lui et ses compagnons, dans un pays où, voulussent-ils donner au corps des superfluités, la terre même se refuserait à leur en fournir. Mais il ne voyait autour de lui que santés florissantes et longues vieillesses ; et il en conclut que, si rien ne suffit à contenter la nature, l’exemple des Japonais nous prouve qu’elle se satisfait de peu.

Il était descendu chez Yagirô que les Portugais nommaient maintenant Paul de Sainte-Foi. On voudrait savoir comment ce Yagirô, qui s’était enfui après avoir commis un meurtre, rentrait si délibérément dans sa ville. Toujours est-il que nul ne le tracassa. Sa mère, sa femme, sa fille, plusieurs membres de sa maison et plusieurs de ses amis se firent chrétiens. Ses voyages, les curieux étrangers qu’il avait amenés, sa connaissance du portugais, sa science nouvelle, le revotaient aux yeux de son entourage, comme aux siens, d’une importance qui devait se traduire dans ses manières par un redoublement de gravité. Le bruit de ses aventures lui valut une audience du Daïmio, dont le château fort avec ses épaisses murailles de grès et ses tours de pagode s’élevait à quelque distance de la ville. Shimadzu connaissait déjà un peu les Nambanjin ou Barbares du Sud, comme on nommait les Portugais. Il désira savoir quels étaient leur genre de vie et leurs ressources. Yagirô raconta ce qu’il avait vu à Goa ; et on peut être certain qu’il ne les déprécia pas. Il avait sollicité du prince l’honneur pour l’apôtre d’être reçu par lui. Admirons ici la dignité japonaise et la leçon qu’un daïmio donnait, sans le savoir, à ces Européens qui se jettent si facilement au cou des étrangers. Il s’écoula plus d’un mois avant que François fût admis en sa présence. Ce ne fut que le jour de la Saint-Michel qu’il franchit la porte étroite de la forteresse et qu’il fut conduit, par un dédale de ponts et de galeries couvertes, à travers une cité mystérieuse, devant le prince agenouillé sur une estrade dans sa robe traînante à fleurs d’or et d’argent, et entouré de ses