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certain que la barbarie renferme des puissances de fécondité incalculable. Mais elle reste stérile, tant qu’une pensée et une discipline organisatrices ne mettent point ces puissances en valeur. Seules les nations qui ont su garder intactes leurs vertus originelles et qui ont su choisir dans l’apport de la civilisation ce qu’il y a de meilleur, pour s’armer et se rendre redoutables, seules ces nations-là peuvent agir sur les autres.


Ces avantages matériels et moraux, il sera nécessaire de les acheter par des sacrifices, des efforts proportionnés à la tâche parallèle qui nous attend, Italiens et Français. Il ne suffira pas que nous disions : « Nous sommes les Latins ! Nous sommes la Beauté, la Liberté, la Justice, la Civilisation ! » pour que le monde se précipite à notre école, ou se range dans notre clientèle. Cette clientèle, si nous voulons la conquérir, il faudra que nous lui offrions à notre tour ce que l’Allemagne s’entendait si bien à lui donner. Ne nous le dissimulons pas : l’Allemagne était mieux adaptée que nous à certaines conditions du monde moderne. Cela ne nous empêchera pas de rester fidèles à nos traditions commerciales, politiques, artistiques et intellectuelles, qui, seules, peuvent nous assurer une supériorité incontestée sur le Germain. Espérons même que nous réussirons à donner au latinisme, sous toutes ses formes, une vitalité nouvelle et vraiment exemplaire.

Nous n’avons que faire de la rudesse et de la brutalité germaniques : un idéal plus viril nous suffira, avec un retour et un rebondissement de l’instinct d’aventure, d’audace, d’initiative et d’entreprise, mais sans rien de cette blessante et irritante manie de conquête et d’asservissement, qui est le caractère distinctif de l’Allemagne moderne. La prudence anglaise, si experte à protéger et même à étendre son bien, sans se donner jamais les allures de la violence scandaleuse, pourra, en cela, nous servir de modèle. Tout en intensifiant notre production, comme les Allemands, — et il le faudra bien, — tout en lui cherchant partout de nouveaux débouchés, nous essaierons de restaurer dans le monde et de garder pour nous-mêmes le sens de la mesure et de la qualité. Nous dédaignerons le colossal, mais nous voudrons faire grand : de grands peuples se le doivent à eux-mêmes. Et parce que rien ne répugne plus