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de changer du jour au lendemain les chemins habituels du trafic. Mais, sans y renoncer complètement, grâce à des tarifs douaniers plus favorables, à des communications plus rapides (auxquelles on songe déjà), les Italiens trouveront chez nous, en Angleterre et en Russie, des débouchés nouveaux et considérables pour leur négoce et pour les productions de leur sol. D’autre part, l’Allemagne, avant la guerre, n’avait engagé, chez eux, que très peu de capitaux, et cela dans un intérêt purement allemand de pénétration économique et politique. Par l’organisation de ses banques, elle avait réussi à drainer la majeure partie de l’épargne italienne, et, grâce à une mainmise graduelle sur tous les organes de la vie nationale, elle entrevoyait le moment très proche où elle aurait réduit l’Italie à la même vassalité déguisée que la Turquie [1]. Sous le régime éventuel de l’Alliance, nos capitaux, nationalisés comme les capitaux allemands, trouveront chez elle un excellent emploi. Elle en a besoin, pour développer son industrie, mettre ses colonies en valeur. Des esprits chagrins nous disent que ce sont là de vains mirages, qu’au lendemain de la guerre nous serons tous ruinés. Mais, dans la débâcle commune, Français et Anglais, nous risquons encore d’être les moins pauvres.

Au point de vue intellectuel, nous aiderons les Italiens à défendre le patrimoine commun de notre culture et l’existence même des langues latines. Comme instrumens de la pensée » l’italien et le français sont des outils perfectionnés. Ils doivent l’emporter sur l’allemand, lourd et empêtré dans des circuits synthétiques, véritable fardeau pour l’intelligence, chaos verbal où la lumière n’est pas encore séparée des ténèbres. Enfin, nous avons à rétablir nos « humanités » dans leur antique maîtrise, à maintenir une tradition d’art, une discipline intellectuelle et morale plusieurs fois millénaire, à rénover le culte de nos antiquités, en les étudiant non plus seulement du dehors, selon la méthode des philologues teutons, qui en négligent l’esprit, mais aussi du dedans, comme partie intégrante de nos âmes nationales. Appliquons-nous à faire revivre en nous les ancêtres, pour vivre nous-mêmes d’une vie plus intense.

  1. Giovanni Preziosi : La Germania alla conquista dell’ Italia, passîm.