Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consentie par ses contractans, dans la claire évidence de l’intérêt commun, doit en être la plus ferme garantie : il n’y a d’amitié solide qu’entre égaux, disait le Stagyrite. Ce serait une belle chose, et digne du génie latin, de réaliser par la seule raison ce qui fut ailleurs l’œuvre de la force. Mais, en admettant les pires malentendus et les plus regrettables aveuglemens, le sentiment de l’ennemi nous tiendra lieu de sagesse. Il faut l’espérer, si nous voulons garder, les uns et les autres, toute notre vigueur nationale et, par la cohésion indéfectible de l’Alliance, sauver l’indépendance des peuples latins.

Cependant, même du point de vue national, ce projet d’union, puis d’unification progressive, soulève des objections que je suis loin de méconnaître. Les nationalistes italiens partent de ce principe qu’une nation est un organisme créé par des conditions géographiques et historiques très spéciales et que, par conséquent, essayer d’y introduire des élémens nouveaux, en dehors de ces conditions géographiques et historiques, c’est risquer de le détruire. Et ainsi ils n’admettent d’alliance que temporaire, que dictée par des circonstances qui répondent à ce qu’ils appellent « les nécessités dynamiques » de leur pays. Évidemment, l’argument a sa valeur, une très réelle valeur. Mais n’est-on pas dupe, ici, d’une métaphore ? Je voudrais bien savoir ce que pensent les biologistes de cette assimilation d’un organisme national à un organisme physique. Une nation ne peut-elle être conçue comme une création spirituelle, comme une œuvre de pensée et de volonté, aussi bien que comme une résultante de la géographie et de l’histoire ? Combien de provinces sont restées juxtaposées, jusqu’au moment où l’initiative d’un homme ou d’une élite, une chance favorable, exploitée avec intelligence, a permis de les réunir ! Évidemment, il faut tenir grand compte des affinités de race et des barrières naturelles. Cependant, sous la République romaine, le Rubicon formait, au Nord, la limite de l’Italie. On convenait que le Piémont et la Lombardie actuels étalent des pays gaulois. Aujourd’hui, avec la rapidité sans cesse accrue de nos communications, il n’y a plus de montagnes infranchissables. Si un intérêt vital le commande à des races de même souche, habituées à penser et à sentir en commun, il ne saurait être plus difficile pour elles de reculer les frontières d’un État que celles d’une province. Bien entendu, cette unification ne