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l’unique moyen de nous défendre contre l’invasion du commerce et de l’industrie germaniques. Nous ne pouvons que nous incliner devant ces hautes autorités. En tout cas, même sans vouloir rien préjuger sur le fond du débat, il faut s’attendre, dans les deux pays, à des résistances acharnées de la part des protectionnistes contre ce projet d’union douanière. Chacun aura peur de conclure un marché de dupe. Et, s’il devient évident, de la plus irrésistible évidence, que l’intérêt national exige le sacrifice des intérêts particuliers, on peut prévoir encore que mille préoccupations égoïstes entreront en jeu et qu’une foule de gens remueront terre et ciel pour entraver le projet.

Pourtant, l’Allemagne est en train d’imposer le Zollverein, non seulement à l’Autriche-Hongrie, mais aussi, dit-on, à ses autres alliés, les Bulgares et les Turcs. Or, l’union douanière n’est jamais que la préface de l’unification politique. Si le gouvernement de Berlin réussit à la faire accepter de ses alliés, même si l’on suppose l’évacuation des territoires actuellement envahis par ses armées et le maintien du statu quo ante bellum, le rêve pangermaniste sera tout près de devenir une réalité. La Mittel-Europa sera constituée. Nous verrons se dresser contre nous, réunies en un faisceau formidable, les énergies économiques, financières, diplomatiques et militaires de deux cent millions d’hommes. Après la défaite de l’Allemagne, la disjonction des Empires centraux, la désagrégation enfin de leurs alliances, le pangermanisme ne désarmera pas pour cela. Clandestinement, il continuera son œuvre de propagande, de fusion ethnique et de groupement d’intérêts ; et, si nous ne sommes pas sur nos gardes, nous courons le risque de nous trouver un beau jour en face d’une Moyenne-Europe plus unie qu’aujourd’hui par les humiliations où les persécutions subies en commun. En réalité, quand on examine froidement la situation, on arrive à cette conclusion très probable, que la guerre actuelle aura divisé l’Europe en deux moitiés, et que, si incontestable que soit notre triomphe, nous ne pouvons pas nous flatter d’imposer complètement notre volonté à l’autre moitié. Après une période plus ou moins longue de paix apparente et de préparation silencieuse, la seconde phase de la grande guerre commencera. Il faut nous préparer pour ce moment-là. Ecartons, si l’on veut, cette éventualité importune : nous