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cette guerre en aura terriblement compromis la réalisation. Mais ce serait chimère de croire que, malgré les pires revers et les résistances les plus acharnées, il abandonnera sa tâche. Il est à prévoir d’ailleurs que la défaite la plus complète ne fera qu’exaspérer les instincts combatifs du pangermanisme, et cela avec la complicité de l’Allemagne entière. Celle-ci sait trop les avantages matériels et l’immense prestige que lui a valus l’Empire, pour renoncer à son impérialisme et ne point tâcher de le pousser jusqu’à ses extrêmes conséquences.

Dans ces conditions, en face d’un bloc central toujours menaçant, ou tendant invinciblement à se refaire, l’équilibre des forces doit amener, au lendemain de la paix, la constitution d’un bloc occidental, composé des Alliés d’aujourd’hui et accru éventuellement de l’Espagne. Mais l’Espagne n’a manifesté, jusqu’ici, aucun désir de se joindre à nous ? Il convient d’attendre, pour engager avec elle la conversation, que le souvenir de ses vieux ressentimens et de ses vieilles défiances à notre égard se soit dissipé et peut-être aussi que la victoire donne à notre amitié tout le prix qu’elle doit avoir. Quoi qu’il en soit, des esprits optimistes se laissent aller à la pensée de plus en plus obsédante d’une fédération permanente, où entreraient, dès aujourd’hui, l’Angleterre, la Belgique, la France, l’Italie et le Portugal, en escomptant, toujours l’alliance russe comme un appoint indispensable. En tout cas, quelle que soit la situation de la Russie après la guerre, et, sur bien des points, si différens des nôtres que soient ses intérêts, il est d’une importance capitale, pour tous les Alliés, qu’elle se dérobe plus jalousement que jamais à la pénétration et à l’emprise germaniques. D’autres, plus timorés et prévoyant des difficultés sans nombre, voudraient que, tout en sauvegardant le plus possible de nos alliances, on restreignît le problème, et que, pour l’instant, on se bornât à la fédération France-Italie.

Au premier aspect, il semble que rien ne soit plus facile et que la chose doive aller de soi. Même avec l’Espagne, l’idée d’une union n’est pas nouvelle. Voilà si longtemps qu’on parle des trois nations-sœurs et de la fraternité latine... (Peut-être oublie-ton un peu trop la petite sœur portugaise !) Mais ce latinisme avait surtout un caractère littéraire, et si... l’on y regarde d’un peu près, on s’apercevra qu’il était, en réalité, bien timide. Il fut moins latin que méditerranéen. En somme, ce