— Il est mort, Rose !… Ah ! Rose, toi, tu as de la chance !…
— Mais mon mari a plus de quarante-neuf anss, Odette, soupira la pauvre Rose.
— Ah ! j’aurais préféré que le mien en eût soixante !
Simone de Prans revint dans l’après-midi. Elle dit que les cartes affluaient chez le concierge qui avait toutes les peines du monde à empêcher qu’on montât.
Odette demanda pourquoi Pierrot, le mari de Simone, qui avait apporté la nouvelle et qui avait vu, lui, n’était pas monté.
— Mais, ma chère petite, il t’aurait fait du mal. Sache seulement qu’il l’a vu et qu’il témoigne de son héroïsme. Ton mari, Odette, est tombé en héros, il a eu la plus belle mort !…
— Il n’y a pas de belle mort, Simone.
— Si.
— Tu en parles à ton aise !…
— Naturellement, j’aime mieux voir mon Pierre vivant que mort de la plus belle mort. Mais toutes les femmes ne pensent pas comme moi.
— Celles qui n’aiment pas leur mari…
— Non, Odette. Tu ne te rends pas compte que tout est changé.
— Jusqu’au fond du cœur ?…
— Jusqu’au fond du cœur. Beaucoup d’entre nous passeront pour inhumaines et cruelles, mais toutes les choses apparaissent d’un autre point de vue.
— On a beau tirer le canon, l’amour reste l’amour.
— Pierrot, qui n’est pas un esprit dans le genre de Bossuet, comme tu sais, m’a dit lui-même : « Ma chère, il y a un grand vent qui passe, et la surface de la terre est toute bouleversée… »
— Il n’est si grand vent qu’il renverse l’amour… Dis-moi ; Pierre l’a vu, lui. Eh bien ?
— Tu veux tout savoir ?… Il s’agissait de déboucher du village de R… Le lieutenant Jacquelin était à la tète de sa compagnie, abrité par des pans de murs, prêt à bondir. L’ordre est venu de sortir. Il a crié : « Tout le monde dehors ! en avant, mes amis !… » Toute la compagnie est sortie et a été fauchée, sauf sept hommes. Pierrot, lui, venait immédiatement après, en seconde ligne… C’est comme cela qu’il l’a vu.
— Mais, mon chéri était-il seulement blessé ou bien mort ?
— En plein front.