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Odette était aussi mal adaptée que possible h. un pareil langage. Tout la surprenait. Elle ne comprenait rien.

Une dame arriva de Paris ; c’était la femme d’un député. Elle dit à tout le monde :

— Je peux bien vous le confier ; — c’est une confidence : — la mobilisation sera affichée demain.

Il faisait un temps extraordinairement beau. Les enfans s’amusaient sur la plage, comme d’ordinaire ; quelques-uns commençaient déjà à jouer au soldat, sans perdre une once de leur gaieté. La mer, sous un ciel absolument pur, était d’un calme absolu. On voyait Le Havre étendu au soleil comme un grand lévrier haletant de chaleur, et de beaux bateaux de transport, au loin, et de petites voiles innocentes. Jamais la terre n’avait paru tant désirer la paix et le bonheur de vivre. On avait beau être alarmé, on ne croyait pas au malheur, au malheur qui dépasse tous les malheurs.

Le lendemain, samedi 1er août, hébétée par les conversations entendues, mais sans renseignemens particuliers, Odette allait jeter à la poste une lettre adressée à son mari, à Paris, puisqu’elle ne savait où le prendre. C’était vers quatre heures. Elle vit devant la mairie un rassemblement qui se formait, et le tambour de ville qui arrivait de la place. Ce tambour était un grand garçon pâle, la peau comme desséchée sur les pommettes ; il avait un sérieux qu’un tambour n’a pas pour annoncer qu’il a été perdu une petite chienne gris-fer à poils longs. La foule l’entoura avec une sorte d’avidité frénétique. Il fit son roulement, prit dans sa poche un papier qu’il déplia et lut à haute voix, sans que sa figure parcheminée exprimât rien : « La mobilisation générale est déclarée. Le premier jour de la mobilisation est pour le dimanche 2 août. Aucun homme ne devra partir avant d’avoir consulté l’affiche qui sera apposée incessamment.)> Un ban. La foule, composée principalement d’hommes jeunes, d’un seul mouvement, poussa le cri de : « Vive la France ! » Un seul jeune homme cria : « Vive la guerre ! » Et le tambour blême s’éloigna pour recommencer son avertissement, vers un autre carrefour.

Cela avait l’air d’une chose toute simple, tout unie, presque ordinaire, au croisement de ces rues de petite ville ; et c’était un cri d’alarme effroyable qui retentissait à tous les points du globe terrestre. Un seul cri. noble, sévère ; pas de gestes, pas