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Elle réentendait toutes les paroles ; elle revoyait les moindres gestes, et cette nuit qu’elle avait passée seule, sans dormir, et Ja chauve-souris qui était entrée dans sa chambre et l’avait épouvantée, et les figures, le lendemain, au restaurant, au Casino, à la plage, partout, et les départs : l’hôtel presque vide dès le soir où elle attendait son mari, où il ne revint pas !…

Il n’était pas revenu parce qu’il avait trouvé à Paris un ordre de rejoindre immédiatement « pour accomplir une période d’instruction. » Il lui avait télégraphié : « Ne bouge pas : tout ira bien, t’écrirai. » Une période d’instruction, si soudainement décidée, qu’est-ce que c’était que cela ? Était-ce la guerre ? Elle interrogea autour d’elle. Les uns étaient effrayés de ce qu’elle annonçait ; les autres disaient : « Une période d’instruction, rien de plus ordinaire. » « En somme, faisait un autre, on mobilise déjà. » Un monsieur lui dit :

— Mais non, madame, la mobilisation ne peut être que générale. Il peut se faire que certains officiers soient appelés individuellement, mais c’est par mesure de prudence, étant donné que la situation, évidemment, est tendue…

— Mais pourquoi lui appelé et pas d’autres ?… Il n’est qu’officier de réserve !

— Cela vient du lieu de son dépôt, sans doute. Connaissez-vous le lieu de son dépôt ?

— Je sais qu’il appartenait autrefois au 9e corps, mais je crois qu’il est passé à Nancy…

— Troupes de couverture, ah ! ah !

— C’est cela précisément, monsieur ; il a été affecté aux troupes de couverture…

— Ha ! très bien. Ho ! bien.

Elle trouva une autre femme dans son cas ou à peu près. Mais le mari de celle-ci, appelé aussi individuellement, était capitainerie l’active, lui, et en garnison à Pont-à-Mousson…

« Celui-là, se dit Odette, son compte est bon. »

Et la comparaison lui étant un peu avantageuse, son moral en fut remonté. Jean n’était que sous-lieutenant, n’appartenait qu’à la réserve… Elle fut attristée par la compassion que lui inspirait l’autre femme, d’un tout autre caractère qu’elle, cependant, fortement préparée à la guerre et prête à sacrifier tout : « Je regrette, disait celle-ci, que mes garçons ne soient pas orrands ; cela ferait des défenseurs de plus au pays… »