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écrivez-moi : je ramasserai dans Paris ce que je pourrai trouver d’hommes ; j’irai à Péronne ou à Saint-Quentin périr avec vous ou sauver l’État. » Quand un roi de France parle ainsi, c’est que l’Etat est bien bas — mais qu’en même temps la vertu de la race reste bien haut. Le prince Eugène, commandant les forces germaniques, a pris le Quesnoy, restant relié au camp de Denain par des lignes que les Allemands appellent déjà « le Chemin de Paris, » toujours cette belle outrecuidance, déconfite le 24 juillet 1712, par la courte bataille de Denain qui conjure le sort et rappelle la victoire sous nos drapeaux.

Et n’est-ce point plus grand miracle encore, que Valmy ? Une nation en anarchie qui vient de détruire l’ordre ancien et n’a pu établir l’ordre nouveau, une armée qui a honteusement fui au printemps de 1792 devant des Autrichiens, l’Europe conjurée contre nous, une armée prussienne qui a pris Longwy, pris Verdun, forcé l’Argonne, pénétré en Champagne, qui menace Paris où le gouvernement délibère de fuir. Danton envoie à Dumouriez — dans un style de forcené Jacobin — les mêmes instructions que Louis XIV à Villars. Il faut sauver l’Etat : l’État sera sauvé. Car il suffit que l’ « armée de savetiers » dont ricanaient les officiers prussiens et autrichiens, présentât à « l’armée du grand Frédéric » un front résolu, pour que le Prussien abandonnât l’Argonne après la Champagne, Verdun après l’Argonne, Longwy après Verdun — en attendant l’heure proche où nos soldats allaient cantonner à Bruxelles, à Liège, à Mayence et à Francfort.

Miracle ! a-t-on dit à chacune de ces victoires inattendues. Miracle, soit : c’est beaucoup que l’esprit souffle, mais il faut qu’il trouve de grandes vertus à ranimer. Ces grandes vertus n’étaient point éteintes. Elles ne l’étaient point à la veille de Bouvines, pointa la veille d’Orléans, point à la veille de Denain, point à la veille de Valmy.

Elles ne l’étaient point à la veille de la Marne, et par là tout s’éclaire. Nous paraissions bien bas ; l’étranger nous tenait pour perdus : la France avait oublié ses vertus guerrières ; peuple frivole, « corrompu, pourri, » renchérissaient nos ennemis, peuple affaibli par ses querelles, démoralisé par le plaisir, mal préparé à une grande guerre, livré d’avance par l’indiscipline et à qui l’on pouvait, comme les hommes de l’empereur Othon le faisaient la veille de Bouvines, préparer « cordes et courroies. »